L’après Charlie Hebdo en débat à New York

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Les attaques de Paris ont fait l’objet de trois conférences cette semaine à New York, à la French-American Foundation, à NYU et au FIAF. L’occasion de présenter au public américain ce “journal irresponsable”, la tradition satirique en France, les conceptions différentes de la liberté d’expression et la définition française de la laïcité, difficilement compréhensible pour les Américains.

Lors d’une conférence organisée par la French-American Foundation le 18 février, la journaliste du Monde Sylvie Kauffman, éditorialiste régulière au New York Times, a vu dans les attaques parisiennes un “assaut direct contre notre identité, nos valeurs de liberté et de diversité.” Elle a aussi tiré des éléments positifs suscités à la suite des attentats comme le nombre de marcheurs qui ont déferlé dans les rues françaises le dimanche 11 janvier, estimé à environ 4 millions. On parle depuis d’un “esprit du 11 janvier”, sans véritablement savoir comment capitaliser sur ce mouvement et le traduire en action. Elle a aussi souligné que de nombreux Français de confession juive ont été choqués par les appels répétés du Premier ministre Benyamin Netanyahou à l’immigration massive vers Israël. Sylvie Kauffman a enfin appelé à un débat ouvert sur la laïcité, un “territoire non défriché” en ce qui concerne les populations musulmanes, dont la présence n’était pas significative lors du vote de la loi de 1905.

Liberté d’expression plus protégée aux Etats-Unis

Floyd Abrams, avocat spécialiste de la liberté de la presse, a rappelé que les Etats-Unis se sont dotés du Premier Amendement, protégeant totalement la liberté d’expression, suite à un courrier de Thomas Jefferson, ambassadeur à Paris en 1787, à James Madison, où il met son soutien à la future Constitution en balance si l’Etat naissant ne se dote pas aussi d’une Déclaration des Droits (Bill of Rights).

La France et les Etats-Unis protègent la liberté d’expression dans une définition large, quelles que soient les conséquences. Le Premier Amendement américain repose sur trois principes. Tout d’abord, le blasphème n’existe pas en droit. Certaines lois étatiques ont criminalisé l’hérésie, mais ces lois ne sont pas en vigueur ou frappées d’inconstitutionnalité. En ce qui concerne les discours de haine,  Floyd Abrams a rappelé que le président Carter a signé en 1980 l’International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination, en faisant part de sa grande réserve car la convention n’aurait aucun effet sur les dispositions protégées par le Premier Amendement. Il n’est pas possible de dissoudre aux Etats-Unis des groupes politiques pour discours haineux, même en cas d’actions violentes. Ce cas est baptisé “veto de Hitler” dans le jargon. Le “danger clair et immédiat” (clear and present danger), l’incitation au crime et à la haine raciale sont les seuls cas qui permettent de justifier une exception à la liberté d’expression.

Lecture conservatrice des événements

Pour l’éditorialiste Bret Stephens du Wall Street Journal, les attaques de Charlie Hebdo sont lues à travers le prisme néoconservateur. Depuis le 11-Septembre, explique-t-il, les Américains se sont interrogés sur les motivations de la haine qu’ils suscitent chez les jihadistes. Un premier courant de pensée considère que cette haine puise ses sources dans les politiques occidentales menées historiquement au Moyen-Orient. Si ces politiques sont modifiées, le problème disparaitra. Le courant conservateur pense au contraire que cet affrontement résulte d’un choc des civilisations et des valeurs, reprenant ici les thèses de Samuel Huntington. La liberté promue par les démocraties libérales serait violemment rejetée. Bret Stephens espère que les attaques contre le journal parisien ont permis de résoudre ce débat, puisque assassiner des journalistes et des dessinateurs, par ailleurs plutôt anti-américains, “n’a rien à voir avec une quelconque politique des Etats-Unis au Moyen-Orient.” Les meilleures réponses à apporter, selon le journaliste du Wall Street Journal, sont plus de liberté d’expression. Il faut habituer l’ensemble des groupes à être insulté, et lever les restrictions françaises légales contre la liberté d’expression.”

Une tradition historique

Lors d’un panel intitulé “Perspectives on the Paris Attacks” à New York University le même jour, l’historien Larry Wolf est revenu sur la figure tutélaire de Voltaire pour la satire française. son Traité sur la tolérance est un succès d’édition depuis les attaques. Le philosophe a aussi signé la pièce Le Fanatisme ou Mahomet le prophète en 1753, qui a donné lieu à seulement trois représentations à l’époque, et qui suscite encore aujourd’hui des polémiques lorsqu’elle est montée. Dans cette œuvre, Voltaire utilise la satire pour attaquer la chrétienté et l’ensemble des religions, ce qui lui aurait été impossible de faire ouvertement.

L’historien Ed Berenson (Institute of French Studies de NYU) a ensuite fait remonter la tradition satirique française aux images pornographiques du XVIIIe siècle, où la reine Marie-Antoinette était représentée “pénétrée par le patriotisme”. Le journal L’Assiette au beurre (1901-1936) est aussi présenté comme un des ancêtres de Charlie. Ed Berenson a aussi souligné que Charlie Hebdo n’avait aucun équivalent aux Etats-Unis. On le compare souvent à Mad magazine, mais le symbolisme fortement patriotique de cette publication est très loin des agitateurs “irresponsables” de Charlie. La série d’animation South Park et la comédie musicale Book of Mormons se rapproche plus de l’esprit satirique de l’hebdomadaire parisien, sans cette laïcité militante, “extrême” et irrévérencieuse. L’historien a ensuite expliqué l’importance de la laïcité dans la culture politique moderne en France, définie comme le “secularism on steroids“.