Portrait

Laurent de Villiers, un aristo aux fourneaux

Aux Etats-Unis depuis un peu plus de cinq ans, Laurent de Villiers s'est imposé dans sa ville de Lincoln, dans le Nebraska, comme la référence en matière de gastronomie française. Avec ses crêpes flambées et autres spécialités, il conquiert les cuisines des Américains le temps d'une soirée.
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© Allison Hess/The Daily Nebraskan

Loin de la tradition aristocratique familiale, Laurent de Villiers, 28 ans, est chef cuisinier à Lincoln dans le Nebraska. Issu d’une fratrie de sept enfants, le fils de Philippe de Villiers – candidat deux fois à la présidentielle au nom du parti de droite souverainiste Mouvement pour la France – avait d’abord choisi la voie du théâtre. En 2005, après la dernière représentation d’une pièce dans laquelle il jouait, il décide de s’envoler pour New York. « Je suis parti faire de l’humanitaire dans le Bronx pendant neuf mois », se souvient Laurent de Villiers. « Je faisais la cuisine dans un foyer pour sans-abris et je vivais dans une maison avec les autres bénévoles. »

C’est là qu’il rencontre sa femme, Renée. L’Américaine suit Laurent en France à la fin de leur mission humanitaire et ils se fiancent à Paris, en septembre 2006. A cette époque, Laurent porte plainte contre son frère aîné, Guillaume, pour viol. Il évoque des faits remontant à son enfance, de 1994 à 1997, qu’il relate sobrement dans le livre Tais-toi et pardonne, paru en novembre dernier. L’ouvrage dévoile l’effet destructeur du procès sur l’entourage de Laurent de Villiers et sur lui-même. « Ma femme était fille au pair, moi j’étais au chômage et je travaillais sur mon autobiographie. Je n’ai pas beaucoup quitté mon appartement cette année-là. J’étais dépressif. »

Plus Françoise Bernard que Ladurée

Eté 2007 : Laurent décide de se réinventer une vie. Il retourne aux Etats-Unis, dans l’Etat dont est originaire Renée : le Nebraska. « On s’est installés avec pas grand chose », raconte le Français. « Dès que j’ai eu mon autorisation de travail, après notre mariage, j’ai vendu du vin et me suis spécialisé dans les imports français. J’ai démissionné en 2009, pour rentrer un mois et demi en France et rencontrer un éditeur. Ça n’a pas marché et je me suis retrouvé au chômage au pire de la crise. »

En toute simplicité, le fils de Villiers raconte comment la paroisse locale l’a recruté comme homme à tout faire le temps d’un été, ce qui l’a ensuite amené à continuer ce travail dans une école. « J’ai tenu six mois avant de craquer », confie-t-il. « Ce n’est pas quelque chose qui se fait dans ma famille. C’est assez ironique d’avoir fait le ménage, compte tenu d’où je viens. Il doit falloir remonter loin pour trouver les ancêtres de Villiers qui ont mis les mains dans la merde », plaisante celui qui dit en avoir tiré « une certaine fierté ».

L’été suivant, il vend des crêpes sur les marchés locaux. Banco ! Les Américains de Lincoln adorent cette French touch sur leurs farmers’ market et Laurent s’épanouit dans ce milieu. Le maire de la ville lui réclame un dîner de crêpes pour ses invités et c’est le début de The Normandy, l’entreprise de cuisinier à domicile de Laurent. Le concept : « France at home ». Plus qu’un traîteur, Laurent se rend chez les gens pour cuisiner, servir, parler de la France et de sa gastronomie. En parallèle, le chef continue à tenir un stand de pâtisseries sur le marché le week-end. Ses fondants au chocolat, meringues, quatre-quarts et sablés font fureur. « Je fais des choses simples. Ici, ils ne veulent pas de mille-feuilles, d’éclairs, de macarons… Je cuisine à la Françoise Bernard – c’est pas Ladurée ! »

« Exotique mais pas trop »

Laurent de Villiers s’en explique : « Il y a une sorte de naïveté dans le Nebraska. C’est un Etat très auto-suffisant et la vie y est tellement simple, tellement confortable, que ça n’incite pas à aller voir ailleurs. » Ainsi, aux yeux du Français, ce qui lui vaut son succès c’est d’être « exotique mais pas trop ». Et cela lui convient : « Je ne suis pas un chef professionnel ! Mais j’ai toujours aimé cuisiner ; je faisais à manger pour ma famille et en camp scout. Et je regardais travailler les traîteurs qui venaient à la maison en période de campagne présidentielle. »

Le spécialiste des crêpes flambées a un nouveau projet dans le viseur. La municipalité de Lincoln vient de lui confier la responsabilité créative d’un marché couvert en construction. « J’ai proposé qu’on fasse un lieu vivant, avec la possibilité de fabriquer les produits sur place, avec un espace restauration et aussi une scène tant pour les artisans qui débutent dans la fabrication de bière ou de fromage que pour les jeunes artistes », expose Laurent avec enthousiasme. « C’est un grand changement dans ma vie, c’est un cran au-dessus de ce que j’ai fait jusqu’à présent », se félicite le père de la petite Grace, trois ans, en attendant la naissance d’une deuxième petite fille en octobre. Il précise qu’il ne compte pas pour autant abandonner la cuisine et la pâtisserie. Il projette même d’ouvrir un restaurant dans le nouveau marché.