Histoire

Le mythe écorné du G.I. en Normandie

En débarquant en Normandie en juin 1944, les G.I. n’ont pas été que les mythiques héros libérateurs mais aussi, parfois, des voyous à qui la France avait été vendue comme une « aventure érotique », affirme le livre choc d’une historienne américaine.
Trois infirmiers du 45e bataillon médical blindé américain avec une jeune jemme française, en Normandie, le 1er août 1944. © Hulton Archive/Getty Images

L’ouvrage de Mary Louise Roberts, Des GI’s et des femmes qui paraît le 3 avril en France aux éditions du Seuil, porte un sous-titre explicite : Amours, viols et prostitution à la Libération. Ce qui s’est passé en Normandie n’est pas « un grand secret pour les Normands, mais certainement une surprise pour les Américains », avait indiqué en mai 2013 cette professeur à l’université du Wisconsin, lors de la sortie du livre aux Etats-Unis. Selon elle, aujourd’hui, « les Américains ont toujours en tête le vieux mythe du G.I. viril et sans tache ».

Spécialiste de l’histoire des femmes en France, Mary Louise Roberts a longuement étudié les archives normandes et américaines pour publier son livre intitulé en anglais What Soldiers Do: Sex and the American GI in World War II France. Selon elle, sexualité, prostitution ou viol étaient un moyen pour les Américains d’« imposer leur pouvoir » sur une nation alors diminuée. La presse militaire américaine « a raconté la Libération comme un roman d’amour, en photographiant des soldats américains en train d’embrasser des jeunes Françaises », écrit l’historienne. « Puis elle en a tiré le mythe de ce qu’était un G.I., le ‘sauveur’ d’une nation de femmes. » Une blague racontée par les Normands en donne un autre éclairage, relève-t-elle : « Quand les Allemands sont arrivés, les hommes ont dû se cacher. Mais quand les Américains sont arrivés, il a fallu cacher les femmes. »

« Un bordel génial »

Il y a eu ainsi, au Havre ou à Cherbourg, « un nombre incroyable de mauvais comportements », allant du racolage de Françaises, même en présence du mari, aux ébats « en plein air, en plein jour, dans les parcs, les cimetières, sur les rails de chemins de fer » et parfois aux viols. « Les Havrais ne pouvaient pas sortir se promener sans voir quelqu’un en train d’avoir une relation sexuelle », dit-elle après avoir étudié la correspondance du maire d’alors, Pierre Voisin, qui se plaignait auprès du colonel Thomas Weed, commandant des troupes américaines dans la région.

La hiérarchie condamnait publiquement, mais laissait faire, dit-elle. Selon Mary Louise Roberts, la propagande américaine « avait vendu la campagne de Normandie comme une aventure érotique » pour motiver les soldats à partir combattre dans un pays qu’ils ne connaissaient quasiment pas. Le livre cite ainsi des textes de propagande dépeignant la France comme « un bordel génial habité par 40 millions d’hédonistes ». Dans les leçons de langue étrangère publiées dans le journal de campagne Stars and Stripes, on apprenait au G.I. à dire en allemand « tu veux une cigarette » ou « lève-toi », alors qu’en français, c’était « vous êtes très jolie madame » et « vos parents sont-ils à la maison ? », raconte l’historienne.

« Une fois mise en branle, la libido du G.I. s’est montrée difficile à endiguer », écrit-elle. Le livre consacre deux chapitres aux viols pour lesquels, selon des documents d’octobre 1944, « 152 soldats ont été poursuivis en justice » dont 130 Noirs, signe selon elle du « racisme permanent » de l’armée américaine mais aussi des Français, « qui pointaient vite les Noirs du doigt ». « Je ne veux pas diminuer l’héroïsme des G.I., ce qu’ils ont fait était formidable », dit l’historienne, « mais je veux remettre les Français dans le tableau et dire que la Normandie a été aussi une histoire humaine ».