Histoire

Le roman des vols transatlantiques

L'histoire des vols transatlantiques est un roman d'aventures. Ses protagonistes, d'abord : des aviateurs hors du commun, comme Lindbergh ou Nungesser. Des évènements exceptionnels, ensuite : qui sera le premier à traverser l'océan Atlantique, exploit redouté et convoité ?
Un Concorde d’Air France au décollage, en 1994. © Spaceaero2

Qu’ont en commun Marcel Cerdan, champion de boxe et amant d’Édith Piaf, et Ginette Neveu, violoniste virtuose de l’après-guerre ? Plus tard, les traversées transatlantiques deviendront le laboratoire de toutes les innovations, pour le confort des passagers à bord ou la course de vitesse entre les deux continents. L’aventure se poursuit : la possible apparition de vols low-cost pourrait rebattre les cartes du marché transatlantique. Symbole d’un rapprochement entre deux continents, deux cultures, et d’une ardente compétition pour le prestige national, l’histoire des vols transatlantiques a marqué le XXe siècle et jalonne les premières années du XXIe siècle.

L’histoire des vols transatlantiques, entre la France et les Etats-Unis, est d’abord marquée par l’ère des pionniers. Après la traversée de la Manche en 1909, réussie par Louis Blériot, et celle de la Méditerranée par Roland Garros en 1913, les regards sont rivés sur l’Atlantique, l’étape décisive. La traversée de l’Atlantique est un enjeu national : le pays qui réussira cette prouesse montrera qu’il est à la pointe de l’innovation.

« Il fallait marquer des points. D’une certaine manière, cette compétition rappelle celle qui a opposé les Etats-Unis et l’URSS, à l’époque de la conquête spatiale », explique Gérard Feldzer, ancien directeur du musée de l’Air et de l’Espace du Bourget. La traversée de l’Atlantique est un défi technique : près de 6 000 kilomètres à parcourir, dans des avions rudimentaires. « Les aviateurs étaient fous de se lancer dans une aventure pareille ! », s’amuse Albéric de Palmaert, historien de l’aviation et auteur du livre Les as de l’Atlantique nord. Entre la France et les Etats-Unis, l’enjeu est de s’imposer comme le leader de l’aéronautique. « Ce sont les prémisses de la compétition entre Airbus et Boeing », note Gérard Feldzer.

La première traversée a lieu les 14 et 15 juin 1919, grâce à deux aviateurs britanniques, John Alcock et Arthur Whitten Brown. Partis de Terre-Neuve, et arrivés en Irlande, la distance parcourue est moins importante que s’ils avaient rejoint Paris en partant de New York. Pour cette raison, ce sera la première traversée entre la France et les Etats-Unis qui marquera l’histoire, et non pas celle des deux Britanniques, quel que fût leur mérite.

L'incroyable histoire de l'Oiseau Blanc

Charles Lindbergh, le 20 mai 1927, réussira la première traversée entre la France et les Etats-Unis, mais selon certains, deux pilotes français avaient réussi cet exploit quelques jours avant lui. C’est l’histoire incroyable de l’Oiseau Blanc, nom de l’avion utilisé par Charles Nungesser et François Coli, pour tenter de rallier les deux continents. A l’époque, pilotes français et américains sont nombreux à vouloir tenter la traversée, motivés par la récompense promise par un homme d’affaires américain, Raymond Orteig, qui offre 25 000 dollars aux pilotes qui réussiront la traversée. Nungesser et Coli font le choix de la difficulté : en partant de Paris pour rejoindre New York, ils sont conscients que les vents contraires ralentiront leur traversée. Le 8 mai 1927, à 5h du matin, ils décollent du Bourget. Preuve de l’ambiance du moment, les deux aviateurs sont acclamés par une foule en tenue de soirée, consciente d’assister à un évènement sans précédent.

Les autorités perdent rapidement la trace de l’avion. A l’époque, on imagine que l’Oiseau Blanc s’est échoué dans la Manche ou dans l’Atlantique. Mais pour certains, Nungesser et Coli ont réussi la traversée : c’est notamment la thèse de Bernard Decré, président de l’association A la recherche de l’Oiseau Blanc, visant à réhabiliter l’exploit des pilotes. Ils auraient atteint l’Amérique du Nord, mais se seraient échoués au large de Saint-Pierre-et-Miquelon. Ils s’y seraient noyés, ou auraient été la cible de garde-côtes américains, les confondant avec un avion de trafiquant – Saint-Pierre-et-Miquelon est alors une plaque tournante du trafic d’alcool, en pleine Prohibition. Bernard Decré va plus loin et accuse les autorités américaines d’avoir camouflé les preuves de la traversée des Français – notamment des morceaux d’aile supposés appartenir à l’Oiseau Blanc – pour que l’exploit de Lindbergh ne soit pas minoré. « Nous manquons tellement de héros en France ; je veux réhabiliter Nungesser et Coli, que les gens sachent quel exploit les deux pilotes ont réussi », s’enthousiasme Bernard Decré.

Charles Lindbergh : la première traversée

Onze jours plus tard, Charles Lindbergh réussit la première traversée officielle. Dans son monoplace, le Spirit of St. Louis, il s’élance de New York et atterrit au Bourget le 21 1927, après 33h30 de traversée et 5 800 kilomètres parcourus. Plus de 200 000 spectateurs rassemblés sur le tarmac accueillent l’aviateur en héros. Cette traversée rapprochera la France et les Etats-Unis et marque l’histoire des traversées transatlantiques : Paul -Vaillant-Couturier, à l’époque journaliste à L’Humanité, écrit : « Des millions et des millions d’hommes aujourd’hui des deux côtés de l’océan vont se sentir plus voisins les uns des autres, plus fraternels […]. Et cela, c’est une victoire révolutionnaire. » Enfin, en 1930, le vol de Dieudonné Costes et Maurice Bellontes clôt l’ère des pionniers : partis du Bourget le 1er septembre, à bord d’un Bréguet 19 GR surnommé Point d’interrogation, ils se posent 37 heures plus tard à New York, devant la foule réunie pour les accueillir. Pour avoir réussi la première traversée d’est en ouest, ils sont chaleureusement félicités par… Charles Lindbergh.

Le Constellation : « un des avions les plus luxueux »

Après l’ère des pionniers vient celle des vols commerciaux reliant la France aux Etats-Unis. Un avion symbolise le début de cette période : le Constellation, construit par Lockheed. « L’apparition du Constellation est un moment décisif pour le transport de masse », affirme Gérard Feldzer. Il est exploité par Air France, qui le met en service en janvier 1947. La compagnie française reliait Paris et New York, depuis 1946, en DC-4. « Pour Air France, la ligne Paris-New York est historique, c’est sans doute la plus importante », explique Antoine Huet, directeur commercial Amérique du Nord de Air France-KLM. Ainsi, en près de 17 heures et deux escales – la première, Shannon en Irlande ou Santa Maria aux Açores, puis Terre-Neuve –, le Constellation transporte une cinquantaine de passagers. « C’est probablement un des avions les plus luxueux jamais construits », rajoute Gérard Feldzer. Chaque vendredi, Air France propose un service de luxe sur le trajet Paris-New York, le Parisien spécial. Sont ainsi proposées aux passagers des cigarettes américaines et du champagne. Au menu du Constellation : médaillon de langouste, caneton à l’orange et croustade de foie gras truffé.

27 octobre 1949 : la tragédie du Constellation  d'Air France

L’histoire du Constellation est aussi marquée par l’accident terrible du F-BAZN Air France qui, le 27 octobre 1949, s’est écrasé dans la région des Açores alors qu’il s’apprêtait à atterrir pour une escale technique, avant de rejoindre New York. Les passagers présents dans l’appareil ont rendu la catastrophe tristement célèbre. A bord, se trouve Marcel Cerdan, célèbre boxeur français, en partance pour New York pour reconquérir son titre de champion du monde de boxe… et rejoindre son amante Edith Piaf, qui l’avait prié de privilégier le Constellation, plus rapide, à la traversée par bateau initialement prévue. Parmi les passagers, voyage aussi la violoniste Ginette Neveu – elle garde auprès d’elle en cabine ses deux instruments, un Stradivarius et un Guadagnini – qui s’apprêtait à donner une série de concerts aux Etats-Unis. Tous périront. L’auteur français Adrien Bosc raconte l’histoire de ce vol mythique dans Constellation, tout juste publié chez Stock.

La révolution des avions à réaction

Les avions à réaction vont bouleverser le marché des traversées transatlantiques. De 17 heures en Constellation, on passe à 8 heures en Boeing 707, mis en service en janvier 1960. « L’apparition du Boeing 707 est une révolution », affirme Gérard Feldzer. Robert Galan, auteur de La grande histoire de l’aviation en 501 petites histoires, abonde dans son sens : « L’arrivée des Boeing 707 est un coup de tonnerre ! A Orly, j’ai vu des Constellation tous neufs renvoyés à la ferraille. Ils étaient devenus obsolètes. » Dix ans plus tard, la mise en service du Boeing 747 va encore accélérer la traversée de l’Atlantique : 7h30 suffisent pour relier Paris à New York. Ce temps de trajet n’évoluera plus – si l’on exclue la parenthèse supersonique du Concorde.

Le prix du billet pour traverser l’Atlantique va radicalement évoluer, entre le premier vol en Constellation et l’apparition des avions à réaction. En 1961, le prix d’un billet aller-retour Paris-New York est divisé par trois, par rapport à 1956 ! L’apparition des Boeing 707 et 747 démocratise les traversées, en les rendant plus abordables – notamment grâce à une augmentation du nombre de passagers à bord, près de 400 sur le Boeing 747. « Les Américains et Boeing, à cette époque, ont pris le dessus sur le marché aéronautique », explique Gérard Feldzer.

Le Concorde : « Viêt-Nam industriel » ou « dérive des continents à l'envers » ?

L’apparition du Concorde, premier avion commercial supersonique, marque une nouvelle étape dans l’histoire des vols transatlantiques. Il résulte d’une coopération entre la France et la Grande-Bretagne et sera exploité uniquement par Air France et British Airways. D’abord surnommé Super-Caravelle, il sera baptisé Concorde, sur une suggestion du général De Gaulle. « C’était un vrai bijou technologique, conçu à une époque où on n’avait pas d’ordinateurs », souligne Gérard Feldzer. Cependant, le projet divise : Jean-Jacques Servan Schreiber, auteur du Défi américain, best-seller de l’année 1967, prédit au moment de son lancement un « Viêt-Nam industriel »… « Certains considéraient qu’il aurait mieux valu construire un avion allant moins vite, mais pouvant transporter plus de gens », explique Jean Philippot, directeur adjoint d’Air France en Amérique du Nord au moment du lancement du Concorde. Au-delà des désaccords stratégiques, se déroule une lutte politique : les détracteurs du Concorde, souvent antigaullistes et pro-européens, s’attaquent au projet d’avion supersonique pour soutenir Airbus, emblème de la construction européenne.

Malgré ces réserves, l’ambiance est électrique lorsque le Concorde s’élance pour la première fois de l’aéroport Charles de Gaulle pour rejoindre New York, le 22 novembre 1977. Après une longue bataille judiciaire opposant Air France aux autorités new-yorkaises, qui feignaient de craindre les nuisances sonores du Concorde, l’autorisation d’atterrir à l’aéroport JFK est enfin accordée. « Il y avait beaucoup d’émotion quand le Concorde a atterri sur la piste », se souvient Jean Philippot. La traversée dure 3h30 : Le Figaro, couvrant l’évènement, titrera son article « Un vol historique trop court » ! Parmi les passagers, est présent à bord un certain Maurice Bellonte qui, 47 ans plus tôt, traversait l’Atlantique avec Dieudonné Costes. Pour Valéry Giscard d’Estaing, le Concorde représente « la dérive des continents à l’envers », un formidable rapprochement entre la France et les Etats-Unis.

Le Concorde est un avion hors du commun, à tous points de vue. Son prix, d’abord : le tarif pour un aller-retour Paris-New York pouvait s’élever à 8 100 euros, un tarif sans commune mesure avec ceux pratiqués aujourd’hui sur les compagnies traditionnelles. Sa vitesse, ensuite : pouvant dépasser Mach 2, il battra un record, le 25 décembre 1989, en effectuant la traversée Paris-New York en 2 heures, 59 minutes et 40 secondes… dix fois moins de temps que pour la traversée de Charles Lindbergh, 62 ans plus tôt ! Le supersonique est l’avion d’une élite, comme ces hommes d’affaires qui se félicitent d’arriver à New York à une heure où ils étaient encore à Paris. Les personnalités ayant volé en Concorde ont marqué Jean Philippot : « Jackie Kennedy exigeait deux sièges, elle voulait avoir de la place… Et Rostropovitch réservait deux sièges supplémentaires pour garder son violoncelle auprès de lui ! »

La fin du Concorde

L’exploitation du Concorde montre rapidement ses limites. Conçu en un temps où la contrainte énergétique comptait peu, les chocs pétroliers de 1973 et 1979 ont diminué sa rentabilité. Consommant trop de kérosène – une tonne de carburant par passager – et ne transportant qu’une centaine de passagers, pas assez pour équilibrer les coûts, le Concorde s’avère être un gouffre financier. Pourquoi alors a-t-il continué à être exploité jusqu’en 2003 ? « Le Concorde était une vitrine exceptionnelle pour l’industrie française et la marque France », explique Robert Galan : l’image de marque du Concorde a compensé l’absence de résultats économiques. Et quand un projet comme le Concorde contribue à la fierté nationale – on pense au paquebot France, lancé alors que beaucoup doutaient de la viabilité du projet –, les arguments rationnels sont balayés, au nom du prestige et de la grandeur de la France. L’accident de Gonesse, le 25 juin 2000, qui voit le Concorde s’écraser 2 minutes après le décollage, ainsi que les mauvais résultats économiques vont sceller définitivement le sort de Concorde : en 2003, Air France annonce la fin de son exploitation. Dans une moindre mesure, l’apparition de l’A380, qui relie la France et les Etats-Unis – New York, Washington D.C. et Los Angeles – dès 2009 est un évènement significatif : plus gros porteur du monde, il est conçu pour accueillir jusqu’à 800 passagers.

Les vols transatlantiques : l'art de vivre à 10 000 mètres d'altitude

Du Constellation à l’Airbus A380, les traversées transatlantiques sont à l’avant-garde des innovations. C’est à bord du Constellation, sur Air France, que les premières couchettes apparaissent ; sur certains vols, les passagers les plus fortunés se voient proposer des mini-suites personnelles, agrémentées de lits doubles. Egalement à bord de l’avion construit par Lockheed, les prémisses d’un service digne des plus grands palaces : les stewards sont des anciens de l’hôtel Georges V ou du Negresco, le palace niçois. La restauration est assurée par des chefs étoilés ayant travaillé dans les cuisines des luxueux paquebots transatlantiques. Cette tradition se perpétuera : sur les vols transatlantiques d’Air France, les repas servis en première classe ou en classe affaires sont imaginés par de grands chefs, comme Joël Robuchon ou Le Divellec. A bord du Concorde d’Air France, si l’exiguïté de la cabine – et la durée du vol ! – ne permet pas de proposer un service aussi haut de gamme que les gros porteurs d’aujourd’hui, la tenue des hôtesses et des stewards souligne le raffinement des vols transatlantiques en supersonique : le personnel navigant est habillé par la maison Jean Patou, où travaillent des stylistes comme Jean Paul Gaultier.

Des aller-retour Paris-New York à 17,50 euros en 2019 ?

Est-il possible d’imaginer les contours des évolutions futures ? Plusieurs tendances sont imaginables. D’abord, celle du « tout business ». Amorcé en 2007, avec la création de la compagnie L’Avion, ce marché compte profiter des 500 000 voyageurs en classe affaires qui effectuent la liaison Paris-New York chaque année. Disparue en 2008 et revendue à British Airways, L’Avion a laissé place aujourd’hui à La Compagnie, nouveau projet de ligne Paris-New York proposant exclusivement des sièges classe affaires. L’intérêt de telles compagnies ? Des prestations haut de gamme, pour un tarif entre 30 % et 70 % moins cher qu’une classe affaires sur une compagnie traditionnelle. A l’heure actuelle, compte tenu des coûts et de la concurrence, ce modèle économique  ne semble pas viable.

Autre tendance susceptible de bouleverser le marché des vols transatlantiques : l’apparition de compagnies low-cost entre la France et les Etats-Unis. Michael O’Leary, patron de Ryanair, a promis des aller-retour Paris-New York pour la somme de 17,50 euros, à partir de 2019 et de « faire éclater » le marché transatlantique, en proposant même une douzaine de destinations américaines en provenance de l’Europe. « Ryanair, ce sont des rois de la com' », s’amuse Gérard Feldzer. « Le prix évoqué de 17,50 euros est totalement farfelu ! » De fait, le business model des compagnies low-cost – avec une rotation et une durée d’utilisation quotidienne des avions plus importantes que les compagnies traditionnelles – semble difficilement applicable au marché long-courrier. « Les compagnies low-cost pourront toujours proposer aux passagers d’être serrés comme des sardines en cabine, mais les prix ne baisseront jamais autant que sur les vols court-courrier », analyse Antoine Huet. « Par contre, un billet entre 100 et 150 euros ne paraît pas inimaginable », ajoute Gérard Feldzer.

Peut-on imaginer l’apparition d’un nouvel avion supersonique, qui diminuerait la durée de vol entre la France et les Etats-Unis ? « Ce n’est pas impossible, mais il faudra attendre longtemps, cela ne risque pas d’arriver avant 2050 », prédit Gérard Feldzer. Jean Philippot est plus sceptique : « Je n’y crois pas trop, pour la même raison qui a expliqué l’absence de rentabilité du Concorde : le prix du kérosène est amené à croître durablement. » Robert Galan semble disposer d’informations sur les intentions des deux constructeurs, Boeing et Airbus : « Des projets d’avions supersoniques sont dans leurs cartons, ils attendent d’avoir l’opportunité de lancer de tels chantiers, afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs que lors du lancement du Concorde. » Les compagnies aériennes seraient-elles demandeuses d’un nouvel avion supersonique ? Antoine Huet répond favorablement : « Si un constructeur est capable de proposer un supersonique viable économiquement, Air France signe tout de suite ! »

Il faut avoir beaucoup d’imagination pour savoir comment, dans cinquante ou cent ans, les générations futures traverseront l’Atlantique. Jules Verne aurait-il pu imaginer que les Etats-Unis soient un jour à 3h30 de vol de la capitale française ?


Article publié dans le numéro de décembre 2014 de France-AmériqueS’abonner au magazine.