French Connection

Les Français d’Alaska brisent la glace

Avec ses grands espaces, l’Alaska attire les Français aventuriers. Ils seraient une centaine à vivre dans le Grand Nord américain, principalement engagés dans le tourisme et la restauration.
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© Carrie Yang

Les Français en quête d’indépendance se disent souvent piqués par « le virus alaskain ». « On vient pour le tourisme ou pour une conférence et on y reste, saisis par la beauté du paysage, la sensation extraordinaire d’espace et de liberté et la chaleur des gens, qui compense largement les basses températures », témoigne Natalie Novik, la consule honoraire installée depuis 1990 sur ces terres froides. « Il y a au moins une centaine de Français dans l’Etat. Peut-être plus. C’est difficile à évaluer, parce qu’ils ont souvent la double nationalité ou ne sont pas inscrits au registre des Français de l’étranger », ajoute Natalie. C’est d’ailleurs une caractéristique des habitants de l’Alaska en général : « Ils sont ici pour avoir la paix. »

Camaraderie et indépendance sont les premiers mots qui viennent à l’esprit d’Odille Bastille. Cette enseignante de mathématiques et de français à l’université de Fairbanks est arrivée ici comme bénévole sur un chantier international à l’été 1990. Elle n’est plus repartie. « Les habitants d’ici se sentent en général alaskains avant d’être citoyens américains ou autre. Cela s’applique aussi à la communauté française. »

A Fairbanks, Odille Bastille a rallié un groupe de femmes françaises mariées à des Américains, qui se retrouvent chaque semaine. Certaines ont rencontré leur mari pendant leurs vacances en Alaska, d’autres quand ils étaient basés en France, pendant ou peu après la Deuxième Guerre mondiale. « Pour la plupart d’entre nous, ces réunions sont l’unique opportunité de parler français, notre langue maternelle, et de partager des tomates farcies, des crêpes ou d’autres plats qui n’ont aucune valeur affective pour nos conjoints anglophones. »

Tourisme et restauration

Pascale Burnet participe parfois à ces rencontres. Un an après des vacances « formidables », cette Française de 49 ans en quête d’espace s’est installée dans le Grand Nord en 1998. Originaire de La Plagne, dans les Alpes, cette ancienne esthéticienne a vendu son institut de beauté pour acheter un bed & breakfast à 45 kilomètres de Fairbanks, en 1998. « Quand j’ai acheté la maison, il n’y avait ni eau ni électricité : elles sont arrivées respectivement en 1999 et 2004 », se souvient-elle. Venue avec ses chiens de traîneau depuis la France, Pascale s’est lancée seule grâce à son visa investisseur. « Je suis arrivée avec ma pince à épiler. Maintenant, je peux couper un arbre avec ma tronçonneuse. »

Outre le tourisme, l’autre grand secteur d’activité qui attire les Français en Alaska est la restauration. Michel Biéri, 60 ans, a sauté le pas en 1985. Chef pâtissier parisien installé aux Etats-Unis depuis 1979, il est embauché au laboratoire de pâtisserie de l’hôtel Hilton d’Anchorage. Quelques mois plus tard, il déménage à Seldovia, son « paradis sur terre », où il réside encore aujourd’hui. En bon entrepreneur, il enchaîne les ouvertures de boulangeries, pâtisseries et petits restaurants. « Ici, il est beaucoup plus facile de démarrer quelque chose de nouveau. Alors souvent, je changeais de concept pour attirer les clients », raconte-t-il. « La culture française est bien rentrée dans les mœurs. Il y a 25 ans, il fallait expliquer ce qu’était un croissant ; aujourd’hui la baguette appartient au vocabulaire courant. »

L’an dernier, il vendait son établissement à Antoine Amouret, un autre jeune chef français. Pilote commercial, Michel Biéri s’est reconverti tout récemment en guide de chasse. Ours bruns, élans, grizzlis, mouflons ou cerfs n’ont plus de secrets pour lui. Il emmène les amateurs à leur découverte et à celle des douze gibiers d’Alaska. Et il vient de démarrer une entreprise de conditionnement de poissons !

Le coût de la vie plus élevé

Des exemples de réussite, l’Alaska en regorge. Des exemples d’échecs aussi. Ce territoire indiscipliné est parfois hostile aux expatriés français, un peu rêveurs et pas vraiment préparés à cet environnement anglophone et aux conditions climatiques extrêmes. « Il y a peu d’information sur l’Alaska en France et certains Français se font des illusions sur les opportunités de travail », rappelle Natalie Novik, la consule honoraire. « Les Etats-Unis ont des quotas de permis de travail très réduits pour les Européens. Et obtenir la carte verte est pratiquement exclu. Les deux seules solutions, c’est de gagner à la fameuse loterie ou d’obtenir un visa investisseur, ce qui implique d’arriver sur place avec au moins 10 000 dollars. »

Le rêve alaskain a donc un prix. « Une fois sur place, il faut pas mal de courage pour vivre ici, avec la neige à déblayer tous les matins d’hiver, le verglas constant sur les routes, les maisons sous-chauffées pour économiser. Louer une maison est très difficile car tout le monde rêve d’être propriétaire. Les vêtements chauds et les véhicules adaptés aussi coûtent chers. » Le coût de la vie en Alaska serait presque 20 % plus élevé en ville que dans d’autres Etats et les prix sont supérieurs de 40 % dans l’Arctique. Certains Français ne parviendront jamais à s’adapter. « Beaucoup arrivent directement de Houston, mutés par leur compagnie pétrolière. Pour eux, l’Alaska n’est pas un choix et ils cherchent en général à en partir le plus vite possible », raconte Natalie Novik, à qui l’on fait souvent appel en cas de cafard ou de grosse panique.

Certains Français sont atteint de cabin fever, une maladie proche de la dépression qui touche certains habitants de l’Alaska. L’hiver, ils vivent enfermés, entre deux tempêtes de neige. Les journées d’ensoleillement sont très courtes. Pascale Burnet, maman de Duncan, un petit garçon autiste, souhaite ainsi vendre son bed & breakfast et partir. « C’est un pays merveilleux, mais c’est trop difficile d’être si loin de la ville, où il y a si peu de services. L’école étant à Fairbanks, Duncan doit faire deux heures de bus par jour et il est compliqué de trouver une thérapie pour lui ici. »

La difficile survie du français

Le principal problème pour les familles reste le manque cruel d’écoles françaises sur le territoire. « Les langues vivantes sont menacées, car peu d’élèves sont intéressés. Si un établissement a de l’argent, il offrira des cours d’espagnol. Les professeurs de français à Anchorage doivent mener une lutte constante pour maintenir leurs programmes, qui sont régulièrement supprimés par l’administration », explique Virginie Duverger, une professeure de français âgée de 36 ans. Depuis trois ans, cette enseignante tente de relancer un cours dans la langue de Molière au sein du collège où elle travaille. « Les parents nous soutiennent et avec leur appui, nous espérons que les fonds nécessaires pourront être débloqués. »

A Fairbanks, où enseigne Odile Bastille, le campus universitaire maintient un programme de français où les effectifs sont « réduits mais dynamiques ». « La plupart de nos étudiants passent un an en pays francophone durant leur cursus. Ils ont un club de français, ils montent des pièces de théâtre et organisent des fêtes », ajoute la professeure. « Grâce à internet, nous avons accès à beaucoup de sources médiatiques qui nous permettent de recréer une sphère francophone d’information, même si nous sommes loin d’un territoire francophone. »

Comme dans d’autres communautés, les petits Français d’Alaska assimilent très vite la culture américaine. « A la deuxième génération, ils ne parlent plus le français », souligne Natalie Novik. Alors en 2012, la consule honoraire envisage d’organiser une semaine de la Francophonie. A condition d’avoir le soutien des institutions locales, comme le département de français de l’Université d’Alaska à Anchorage.


Article publié dans le numéro de janvier 2012 de France-AmériqueS’abonner au magazine.