Objet culte : Maille, la moutarde des rois

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Avec son blason noir et or et son slogan en demi alexandrin–”Il n’y a que Maille qui m’aille”–la moutarde Maille est la référence de goût de l’épicerie fine française.

Contemporaine de Louis XV, la moutarde Maille a traversé trois monarchies, deux empires, cinq républiques, cinq guerres européennes et deux guerres mondiales ! Loin des salons de la capitale, sa réputation naît à Marseille, ravagée par la peste de 1720. Antoine-Claude Maille découvre alors à Paris les propriétés antiseptiques du vinaigre. Son “Vinaigre des quatre voleurs” sera utilisé pour soulager les Marseillais.

Son fils ouvre en 1747 la première boutique Maille rue Saint-André-des-Arts, à Paris et devient le fournisseur officiel du roi en vinaigre et moutarde. Face à la demande grandissante, un deuxième magasin de moutardes ouvre Route de Versailles. On compte la marquise de Pompadour et les ducs de Bourgogne parmi la clientèle. Fidèle à la royauté, la moutarde accompagnera les repas du dernier roi de France, Louis-Philippe Ier, jusqu’à sa mort, en 1850.

De l’épicerie à la grande surface

Maille cumule les médailles aux Expositions Universelles mais la Première Guerre mondiale met provisoirement fin à ses ambitions. Rachetée en 1923 par Philippe de Rothschild, l’image de la marque est confiée en 1930 au publicitaire Jean Herbout. Il trouve son célèbre slogan “Que Maille qui m’aille”, et la redécouverte des documents prouvant l’authenticité de ses titres de “vinaigrier du Roi et des cours royales européennes”, ainsi que son blason, qui figure toujours sur les étiquettes.

Le prestige de la moutarde est relancé. Pour l’étendre, Jean Herbout illumine tous les soirs les toits de Paris avec les six lettres de Maille. En 1952, Philippe de Rotschild cède la marque à André Ricard. Il rachète et fait construire des vinaigreries, étend sa gamme aux cornichons–doux et croquants grâce à la technique de pasteurisation que la marque est alors seule à maîtriser–, à la mayonnaise (renommée Maille-Onnaise), au ketchup, et à la pâte d’anchois.

Fabriquée depuis 1965 à Longvic, près de Dijon, la moutarde Maille utilise exclusivement des graines de moutarde et de vin blanc d’origine bourguignonne. De nouveaux produits haut de gamme sont élaborés à la fin des années 1970 : moutarde à l’ancienne, moutarde fine de Dijon, et des parfums rares au poivre vert, à l’estragon et à l’échalote. Le contenant est à l’image du produit aristocratique : un bocal “Fleur de Lys”.

Dans les années 1980, la moutarde Maille s’invite à la table des Français grâce à la télévision. Le ton marie l’humour et le côté aristocratique de la marque. Ainsi, en 1989, le poète André Chenier, sur le point d’être guillotiné, affirme : “Périr pour ses idées, il n’y a rien de plus beau. Et puisque l’on me demande mes dernières volontés, je l’affirme bien haut : il n’y a que Maille qui m’aille”.

Un pari d’élitisme, comme en témoigne l’installation, en 1996, du magasin à l’enseigne place de la Madeleine à Paris, haut lieu de la gastronomie française de luxe. Et l’inauguration récente de la première boutique new-yorkaise, située dans l’Upper West Side, avec son sommelier et ses moutardes servies à la pompe dans des pots de grès.

Boutique Maille à New York
185 Columbus Avenue & 68th Street
New York, NY 10023

Jean Watin-Augouard
Il n’y a que Maille… Trois siècles de tradition culinaire
Éditions SPSA (2000)
160 pages, 41,92 euros.

Article publié dans le numero de juillet 2015 de France-Amérique.