The Wordsmith

Pardon my French!

Alors que l’on célèbre en mars le Mois de la Francophonie (et le 50e anniversaire de l’OIF le 20 mars 2020), il n’est pas inutile de rappeler qu’une kyrielle de mots et d’expressions anglaises – 45 à 62 % selon les estimations – sont issues... du français !
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Une scène du film culte La folle journée de Ferris Bueller de John Hughes (1986).

C’est d’abord le savoir-vivre à la française que de tels mots célèbrent. Dans la bonne société new-yorkaise, depuis l’installation d’une importante communauté française fuyant la Révolution, on use et abuse des « madame », « mademoiselle », « au revoir », « à votre santé », « bon appétit », « bon voyage ». De même raffole-t-on des locutions qui donnent du lustre à la conversation : « à propos », « en passant », « soi-disant », « bien entendu », « comme ci comme ça », « à coup sûr », « coup de grâce », « déjà vu », « tout de même », etc.

Des tournures comme « noblesse oblige », « un je ne sais quoi », « crème de la crème », « à corps perdu », « folie des grandeurs » sont glissées dans la discussion dès que l’occasion se présente. De Berlin à Madrid en passant par Boston et Philadelphie, pendant des siècles, on ne jurait que par la mode venue de Paris. En même temps que les vêtements et accessoires, les mots français qui les désignent déferlaient dans les capitales. Les Américaines, par exemple, ignorent le terme soutien-gorge, mais parlent de bra, qui n’est rien d’autre qu’un diminutif de brassière.

Le miracle de la French touch

S’il a parfois un parfum désuet, le chic français — ce que les Anglo-Saxons appellent la French touch – continue de fasciner. Il se manifeste également dans l’art d’habiter et dans le vocabulaire de la maison. Mansarde — French roof pour les Américains —, balcon, terrasse, véranda, marquise, entre autres, sont là pour le rappeler. Reste bien évidemment la gastronomie. Dans toutes les langues européennes, nombre de termes traduisent l’engouement pour la cuisine et le service à la française. Qu’on pense aux French fries, les frites françaises des Américains. C’est aussi le cas pour le pain : on a le choix entre French loaf, la « miche », et French bread, la « baguette », parfois dénommée French stick.

Mais que l’on ne s’y trompe pas. Les sentiments que le monde anglo-saxon nourrit à l’égard des Français sont loin d’être toujours amènes. On vante leur élégance, leur raffinement. Mais on leur attribue aussi bien des travers. Pour commencer, leur réputation de courtoisie serait usurpée. Si, à Paris, les personnes discrètes « filent à l’anglaise », à Londres ce sont les malotrus qui filent à la française (to take a French leave). En matière de dénigrement, les Américains n’y vont pas avec le dos de la cuillère. Avant de proférer une bordée d’injures, on se plaît à se disculper d’avance en lançant à son interlocuteur : « Pardon my French !« » Dans le même esprit, on utilise l’expression to speak French comme synonyme de « dire des grossièretés ».

French lover vs. French fever

C’est connu : le Français ne pensent qu’à ça. D’où une myriade d’expressions liées à la sexualité. Celle de French lover, pour évoquer l’amant performant, est certes valorisante. On ne peut pas en dire autant de French disease, nom que les Anglais ont donné à la syphilis, qu’en outre ils déclinent en French fever, French gout, French ache, French pox. Toujours chez les Anglais, to take French lessons, c’est contracter une maladie vénérienne. Laquelle pourrait être évitée grâce à ce que les Américains se plaisent à nommer French cap, French ticket, voire French safe, « coffre-fort français ».

Quant au French kiss, le célébrissime « baiser français », il n’est pas toujours celui que l’on croit, puisque, aux Etats-Unis, il évoque souvent le sexe oral. Pour les Américains, par ailleurs, une « tarte française » (French tart) est une femme frivole et une « vanille française » (French vanilla), une fille (blanche) sexy. Autre cliché qui a la vie dure, la saleté supposée des Français. C’est pour dissimuler leurs mauvaises odeurs qu’ils feraient un usage immodéré du parfum. Peu d’eau, beaucoup de parfum, c’est ce que les Américains appellent le French bath.

Qui dit Français dit aussi bon à rien. Pour parler d’un travail mal fait, on dit a French pigeon, c’est-à-dire un oiseau tiré hors-saison. Quant au French screwdriver, c’est, non pas un tournevis, mais un marteau. Une blague qui sous-entend que les Français sont incapables de faire correctement un travail simple. La preuve que le ressentiment anti-français, le fameux French bashing, a de beaux jours devant lui !


Article publié dans le numéro de février 2016 de France-Amérique.