Was Obama a Great President?

Après deux mandats successifs, Barack Obama s’apprête à quitter la Maison Blanche. “Son bilan, écrit Guy Sorman, se résume à un seul succès : Obamacare.”

Un grand chef d’Etat définit une époque et façonne les événements ; du moins est-ce la définition commune. Napoléon Ier, admiré par les Français et honni dans le reste de l’Europe, fut “grand”. Tandis que du roi Louis Philippe (1830-1848), qui fit régner la paix et une certaine prospérité, il ne reste que le souvenir d’un style d’ameublement. La postérité est une justice cruelle. Pour Obama, le jugement partisan divise les Etats-Unis : grand pour les Démocrates, médiocre selon les Républicains.

Fondée sur une erreur d’appréciation des pouvoirs réels du président, la question n’est-elle pas mal formulée ? La constitution américaine fut rédigée de manière à ce que le chef de l’Etat ne soit pas un monarque : aucun geste significatif ne lui est possible sans de multiples autorisations des parlementaires, d’une foule de conseillers juridiques et le regard sévère de la Cour Suprême. Le président ne peut pas grand chose, à l’intérieur comme à l’extérieur ; voici pourquoi, en huit ans, le bilan d’Obama se résume à un seul succès majeur, dit Obamacare, l’extension de l’assurance maladie à trente millions de citoyens. Ce n’est pas rien. Les intéressés en sont satisfaits, les Démocrates en sont fiers, mais les Républicains n’ont jamais accepté cette incursion de l’Etat fédéral dans la vie privée des citoyens. Obamacare sera démantelé, si bien qu’Obama ne laisse rien de tangible en héritage.

Les autres initiatives prises au cours de ses deux mandats furent symboliques : en faveur des minorités, des Noirs, des transgenres et des immigrants. Dans la vie d’une nation, ces symboles sont importants, sans plus. La situation réelle des Noirs, par exemple, n’a cessé de s’améliorer parce que le racisme régresse spontanément et que le nombre d’emplois a augmenté. Obama a accompagné cette dynamique de la société et de l’économie, il ne l’a pas créée. Au moins ne l’aura-t-il pas contrariée. En politique comme en médecine, “ne pas nuire” devrait être la première obligation.

Deux événements considérables, intervenus sous la présidence d’Obama, lui ont totalement échappé : la légalisation du mariage homosexuel, imposée par la Cour Suprême, et la légalisation du cannabis, instituée par référendum dans vingt-huit Etats. En politique intérieure, le président détient avant tout le pouvoir de la parole, le “power of the pulpit” : la Maison Blanche est la chaire la plus influente du pays. On s’en sert pour exhorter et pour montrer l’exemple. Que les Obama furent exemplaires n’est pas indifférent dans un pays où les familles afro-américaines sont souvent en lambeaux. Obama, grand président ? Par la dignité de son comportement, certainement.

L’appréciation de sa politique étrangère est plus difficile. Le président détient là plus de pouvoir, mais sous le contrôle du Sénat, des médias et de l’opinion. A droite, on lui reproche sa mollesse face à l’Iran, face à l’impérialisme chinois et face aux incursions russes en Crimée et en Syrie. Sans doute les Chinois et les Russes auraient-ils reculé, confrontés à la détermination belliqueuse d’un George W. Bush ou d’un Ronald Reagan. Mais Obama a été élu parce que pacifiste et pour ramener les troupes américaines “à la maison”. Ce qu’il a fait : rares, sous sa présidence, furent les soldats américains tués au combat. Pour le peuple américain, cela compte, plus que de mourir pour la Syrie, pour l’Ukraine ou pour les îles Spratleys. On peut regretter, comme les Républicains s’y emploient, qu’Obama ne soit pas parti en guerre contre Bachar el-Assad, mais était-il souhaitable qu’il trahisse son mandat populaire ? Obama se sera cantonné à une guerre secrète, avec les forces spéciales et des drones, éliminant plusieurs milliers de combattants djihadistes, Oussama ben Laden inclus. Le grand président n’est-il pas celui qui respecte le vœu de ses électeurs ? Un critère rarement retenu, mais il me semble qu’il devrait l’être.

Souvent, j’ai écrit que le président américain était un Gulliver ficelé par des Lilliputiens : Obama en est la preuve. Certains de ses prédécesseurs nous paraissent s’être affranchis de ces liens ; c’est parce que les événements ont défini ces grands présidents plus qu’eux-mêmes ont défini les événements. Considérez Abraham Lincoln : la Guerre de Sécession lui a été imposée ; il l’a emportée et il lui a donné une signification qu’elle n’avait pas au départ, la fin de l’esclavage. Les circonstances ont défini Lincoln plus que l’inverse. Il en alla de même pour Franklin D. Roosevelt qui n’avait d’autre choix que de gagner une guerre à laquelle il aurait préféré ne pas participer. Ronald Reagan connut une double chance : une nouvelle économie définie par l’Internet qu’il n’avait pas inventé et l’effondrement de l’Union Soviétique qu’il n’avait pas provoqué. Les Américains le perçoivent, aujourd’hui, comme un de leurs meilleurs présidents.

Napoléon Ier, on y revient, estimait que, pour gagner une bataille, il convient d’avoir de la chance. Le grand président est celui qui a de la chance et se trouve au bon moment, au bon endroit. Obama s’est situé à mi-chemin, trop réservé pour être totalement chanceux et jamais confronté à une crise majeure ; il n’en aura pas provoqué non plus. Je ne crédite pas Obama pour le regain économique aux Etats-Unis : parce qu’il n’est pour rien dans ce cycle, de même que George W. Bush n’était guère responsable de la crise de 2008. Un président n’est que président — c’est ce que Donald Trump va bientôt découvrir.