French-American Commercial Feuds (5/5): Steel vs. Orange Juice

L’histoire franco-américaine est ponctuée de conflits commerciaux et diplomatiques, de la “chicken war” dans les années 1960 aux récentes annonces de Donald Trump sur la taxation des importations d’acier et d’aluminium européens. De boycotts en mesures protectionnistes, illustration de ces conflits en cinq épisodes retraçant l’histoire des produits interdits.


Episode 5 : Acier et aluminium, d’hier à aujourd’hui

Les relations commerciales entre les Etats-Unis et ses partenaires traversent une nouvelle zone de turbulences après que Washington a décidé de taxer l’acier et l’aluminium importés d’Europe, du Mexique et du Canada, pour privilégier la production nationale. Une décision qui risque de remettre en cause l’équilibre de l’économie mondiale. Emmanuel Macron a affirmé que cette mesure est une “erreur” et la juge “illégale” au cours d’un récent entretien téléphonique avec Donald Trump. Ces mesures ne sont pas sans rappeler un précédent historique sous l’administration Bush.

“Sauver” la sidérurgie, un enjeu politique

Le 5 mars 2002, le président américain George W. Bush annonce qu’il va « sauver » le secteur de la sidérurgie américaine, alors en pleine restructuration. Il impose des droits de douane de 8 à 30% sur une dizaine de produits importés comme les tôles d’acier, les aciers laminés à chaud et à froid et les aciers prélaqués.

Aux Etats-Unis, les entreprises sidérurgiques sont subventionnées et protégées depuis l’entre-deux-guerres, mais peinent à être compétitives. La motivation de George Bush est plus politique qu’économique : la région industrielle de la « Rust Belt » (la ceinture de rouille) autour des Grands Lacs, pèse lourd dans la balance électorale. Favoriser l’emploi dans ces Etats assurerait au président d’être réélu pour un second mandat.

Pour imposer ses taxes, le gouvernement Bush s’appuie sur l’article 232 du Trade Expansion Act de 1962, qui permet de restreindre les importations de biens jugés préjudiciables à la sécurité nationale si le département du Commerce y voit un danger. Une spécificité qui permet aux Etats-Unis de contourner les règles de l’OMC et de restreindre l’importation de produits étrangers. La Maison Blanche prétend qu’il s’agit de « mesures de sauvegarde » et de « restrictions temporaires » conformes aux règles du commerce international pour protéger son marché intérieur d’importations massives, inattendues et soudaines. En réaction, l’Union Européenne porte plainte auprès de l’Organisation mondiale du commerce.

Slips, jus d’orange et politique

Pascal Lamy, alors commissaire européen en charge du Commerce extérieur, dénonce un « signal pervers et inouï lancé au monde ». Les Européens ripostent en augmentant les taxes sur les produits américains importés : t-shirts, slips, yachts… Les droits de douane imposés, parfois jusque 100% de la valeur des produits, atteignent un total de 2,2 millions de dollars. Les Etats visés sont stratégiques pour la réélection de George W. Bush. En Floride, l’un des Swing States susceptibles de faire basculer le résultat de l’élection et dirigé par le frère du président, les frais d’exportation du jus d’orange s’envolent.

Les taxes sur l’acier, qui devaient être appliquées pendant trois ans et un jour, sont finalement levées après 18 mois, le 4 décembre 2003. Pour expliquer ce revirement, George W. Bush fait part de sa “conviction que les consommateurs américains et l’économie américaine seront mieux servis par des échanges commerciaux mondiaux libres et équitables”.

Le bilan économique est mitigé : si l’état du secteur sidérurgique s’est légèrement amélioré, les conséquences pour l’économie américaine globale sont négatives. Les industries ayant massivement recours à l’acier — tels les constructeurs automobiles — ont vu leur pouvoir d’achat fondre. Selon certaines études, 200 000 emplois auraient été détruits, soit davantage que le nombre d’emplois créés ou maintenus dans le secteur de la sidérurgie pendant la même période (170 000 personnes). Côté européen, le chef de cabinet de Pascal Lamy confie à Politico « s’être bien amusé » : « on savait que c’était le genre de situation où on était sûr de gagner ».