Colère au sommet de l’Etat français, cible des grandes oreilles américaines

La France a appelé mercredi Washington à “réparer les dégâts” provoqués par les pratiques “inacceptables” et “incompréhensibles” des services secrets américains qui ont écouté pendant de longues années les trois derniers présidents français.

Devant la représentation nationale, le Premier ministre Manuel Valls a solennellement réclamé un “code de bonne conduite” déjà exigé par les Européens en 2013 quand les révélations sur l’espionnage américain portaient sur les écoutes des dirigeants allemands, brésiliens ou mexicains, dont le portable de la chancelière allemande Angela Merkel. Un Conseil de défense réuni en fin de matinée autour du président François Hollande a permis de “mesurer et de partager l’émotion et la colère (…) face à ces pratiques inacceptables émanant d’un pays ami”, a souligné le Premier ministre. Pour autant, il n’a évoqué aucune mesure de rétorsion concrète face à cette “très grave violation de l’esprit de confiance”.

François Hollande avait réagi vivement dès la publication mardi soir par la presse de notes compromettantes pour la National Security Agency (NSA), décidant de réunir dans l’urgence ce conseil. L’ambassadrice américaine a pour sa part été convoquée au Quai d’Orsay mercredi en fin d’après-midi. Le chef de l’Etat devait s’entretenir aussi “dans la journée” avec Barack Obama. Il attend de son homologue américain, selon des parlementaires reçus à l’Elysée, qu’il “réitère” les engagements” pris par Washington en 2013 de ne plus procéder au “ciblage des autorités françaises”. La France “ne tolèrera aucun agissement mettant en cause sa sécurité”, a martelé l’Elysée dans un communiqué.

Ces faits sont “incompréhensibles entre pays alliés”, a renchéri le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll qui a annoncé que le coordonnateur national du renseignement français, Didier Le Bret, se rendrait “dans les jours qui viennent” aux Etats-Unis, accompagné de Bernard Bajolet, le patron des services de renseignement extérieurs de la France (DGSE). L’objectif, selon M. Le Foll, est de s’assurer que les engagements de 2013 sont “vérifiés, respectés et appliqués”.

Dès 09h, les principaux ministres concernés, les responsables militaires et les maîtres espions français s’étaient retrouvés aux côtés du chef de l’Etat pour “évaluer sur tous les plans la totalité des informations” et “prévoir la réaction utile”, selon l’entourage du président. Ces événements surviennent le jour même où le Parlement doit adopter définitivement un projet controversé sur le renseignement qui légalise, selon ses détracteurs, des pratiques contestables des services au nom de l’antiterrorisme.

Explication de texte

Selon les documents de WikiLeaks publiés mardi soir par Libération et Médiapart, les trois derniers présidents français, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande, mais aussi des ministres et parlementaires ont été espionnés par les Etats-Unis, au moins de 2006 à 2012. Ces révélations jettent un nouveau jour sur l’ampleur des écoutes conduites par la NSA, mais aussi la vulnérabilité des systèmes de communication gouvernementaux français. Au coeur de l’affaire Snowden, en 2013, François Hollande l’assurait: “Nous avons pris toutes les dispositions, j’allais dire dès mon arrivée aux responsabilités, pour que, tout en gardant un téléphone, il puisse rester sécurisé”.

Parmi les réactions les plus vives, l’eurodéputé Renaud Muselier (Les Républicains) a appelé à “renvoyer l’ambassadeur” américain à Paris. Jean-Luc Mélenchon (Parti de Gauche) et la présidente du FN Marine Le Pen ont réclamé l’arrêt des négociations sur le traité de libre échange UE-USA. Sur ce point, Stéphane Le Foll a cependant appelé à garder “la mesure”, semblant exclure une telle hypothèse. “Il faut une explication de texte au plus haut niveau”, a jugé pout sa part le député (LR) Pierre Lellouche, l’un des espionnés.

La Maison Blanche a assuré mardi soir qu’elle ne “ciblait pas” les communications du président Hollande et ne le ferait pas à l’avenir, mais sans évoquer le passé. “Les lecteurs français peuvent s’attendre prochainement à d’autres révélations précises et importantes”, a prévenu le fondateur de Wikileaks, Julian Assange, reclus dans l’ambassade d’Equateur à Londres depuis trois ans. Quant à l’entourage de l’ancien président Nicolas Sarkozy, il a jugé “ces méthodes” d’espionnage “inacceptables en règle générale, et plus particulièrement entre alliés”. Classés “Top-Secret”, les documents consistent notamment en cinq rapports de la NSA, basés sur des “interceptions de communication”.

Le plus récent date du 22 mai 2012, juste après l’entrée en fonction de M. Hollande. Il fait état de réunions secrètes destinées à discuter d’une éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro. Selon la NSA, le chef de l’Etat avait trouvé Angela Merkel – rencontrée à Berlin le jour de son investiture le 15 mai- “obnubilée” par la Grèce qu’elle a “laissé tomber”.

Autre révélation, le président français, après avoir rencontré Mme Merkel, a invité à Paris le chef du SPD Sigmar Gabriel. Son Premier ministre d’alors, Jean-Marc Ayrault, lui conseille de garder l’événement secret. La NSA affirme que Nicolas Sarkozy se voyait “comme le seul à pouvoir résoudre la crise financière mondiale” de 2008. Elle assure encore que Jacques Chirac prêtait à son ministre des Affaires étrangères Philippe Douste-Blazy, une “propension” aux “déclarations inexactes et inopportunes”.