Les 20 et 21 octobre, Wellesley College — une des 52 universités pour femmes qui existent aux Etats-Unis —, organise un symposium franco-américain sur l’égalité des sexes. Réunissant 78 universitaires, décideurs et activistes, dont notamment la militante des droits civiques Angela Davis et les anciennes ministres françaises Christiane Taubira et Najat Vallaud-Belkacem, cette conférence est l’occasion d’explorer les différentes approches et idées sur l’égalité des sexes en France et aux Etats-Unis.
Pour contextualiser le sujet et explorer ses nombreuses facettes, France-Amérique s’est entretenue avec deux des femmes qui interviendront lors de ce symposium organisé par le consulat de France à Boston. Economiste à Sciences Po, Hélène Périvier étudie la politique familiale en France et ses effets sur l’égalité des sexes et dirige le programme PRESAGE consacré à l’étude du genre dans le milieu universitaire. Historienne spécialiste des questions de santé, Susan Reverby a été l’un des premières professeurs du département de Women’s Studies à Wellesley College.
France-Amérique : Hélène, vous avez étudié les différences entre les politiques sur le genre en France et en Amérique. Quelles conclusions avez-vous tiré ?
Hélène Périvier : J’ai comparé les deux pays et me suis intéressé à leurs nuances. Les indicateurs généraux, comme la représentation des femmes sur le marché du travail, montrent que la situation est sensiblement identique en France et aux Etats-Unis. Toutefois, si l’on tient compte du facteur social, il existe d’énormes différences entre les deux pays. Le problème du plafond de verre est plus prononcé en France qu’aux Etats-Unis. Des lois ont été mises en place pour protéger les femmes contre la discrimination en milieu professionnel dans les deux pays. Cependant, les femmes aux Etats-Unis ne semblent pas hésiter à s’appuyer sur ces lois pour poursuivre leurs employeurs en justice, mais ce n’est pas le cas des femmes en France.
Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Une hypothèse possible est que le marché du travail est beaucoup plus restreint pour les femmes qualifiées en France qu’aux États-Unis. Poursuivre son employeur en justice y sera plus donc préjudiciable. La tendance s’inverse pour les femmes moins aisées. En France, le niveau de répartition des richesses est assez élevé et l’Etat-providence est généreux. Les femmes ont donc accès à plus de services publics, comme la garde des enfants. Aux Etats-Unis, les femmes ayant un revenu inférieur ont davantage de difficultés à maintenir un équilibre entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle.
Comment définiriez-vous l’approche française en matière d’égalité des sexes ?
Les droits fondamentaux sont universels. C’est l’idée phare de la Révolution française. Toutefois, ce concept peut parfois dissimuler le problème de base de la discrimination sexuelle. Il existe une importante différence entre l’approche identique que l’on cherche à appliquer aux deux sexes et l’existence de mesures qui visent à compenser les préjugés de la société envers les femmes. Au final, la création d’une société équitable et égalitaire est un objectif politique.
Susan, en quoi cela fait-il écho au fait que Wellesley College n’admette que des femmes ?
Susan Reverby : Wellesley a été créée [en 1870] pour prouver que les femmes pouvaient accomplir autant que les hommes. C’est le but d’une université pour femmes. Dès sa création, il était évident que le campus allait permettre de développer une compréhension entre les expériences des femmes et le rôle des sexes. Le département de Women’s Studies complète cet objectif. L’université dit aux étudiantes qu’elles peuvent accomplir ce qu’elles désirent ; notre département leur dit que si ce n’est pas vrai, il existe une raison structurelle.
Lors du cours d’introduction aux Women’s Studies que vous enseigniez à Wellesley ces dernières années, quels étaient les aspects sur lesquels vous incitiez vos étudiantes à se pencher ?
Je présente la problématique homme-femme depuis ses fondements. J’avais l’habitude d’envoyer mes étudiantes faire un tour dans le magasin de jouets Toys “R” Us. Dans les allées à dominance rose ou bleue, elles cherchaient à comprendre si certaines différences entre les sexes étaient biologiques ou créées par la société. Je donnais aussi à mes étudiantes l’exemple des sociétés de chasseurs-cueilleurs. Comment pouvez-vous aller à la chasse avec un bébé sur le dos ? Vous pouvez ramasser des noix et des graines, mais ce sera difficile de pister un lion. Cette approche permet aux étudiantes de réfléchir à ce qui a pu être nécessaire à une période donnée, mais ne l’est plus aujourd’hui.
Vos domaines de spécialisation sont la santé et l’histoire. En quoi ces sujets sont-ils pertinents aujourd’hui ?
Ils sont plus que jamais pertinents. Le gouvernement actuel envisage de faire payer les femmes pour leur contraception. Le changement le plus important du XXe siècle a été la séparation entre sexualité et reproduction — du moins pour les femmes hétérosexuelles — grâce aux effets des moyens contraceptifs. Votre vie est entièrement différente lorsque vous tombez constamment enceinte et devez perpétuellement vous occuper de vos enfants. Notre perception du corps et de la santé est au centre de l’égalité des sexes.