Falcon, une saga française

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Chefs d’Etats, entrepreneurs, cadres d’entreprises ou stars ­hollywoodiennes, tous sont un jour montés à bord de ce jet d’affaires luxueux. Le jet Falcon, fleuron de l’industrie aéronautique française qui fêtait son cinquantième anniversaire en 2013, s’est implanté avec succès aux États-Unis. Dassault Falcon emploie aujourd’hui 2 500 personnes sur ses sites de Little Rock (Arkansas), Wilmington (Delaware), Teterboro (New Jersey), et Reno ­(Nevada).

A Teterboro, New Jersey. Dans un vaste hangar sont alignés quatre jets d’affaires Falcon. Leurs noms – 2000 LX, 900 LX, 7X, 2000S – sonnent comme un code secret. Un homme en salopette s’affaire auprès du plus précieux, le 7X. Celui que Francis Ford Coppola s’est offert il y a quatre ans, après l’avoir fait peindre en vert, rouge, bleu et jaune, en souvenir de son jouet d’enfance préféré. Son prix : 52,8 millions de dollars… Et ce n’est pas le plus onéreux. Il faut compter 27,7 millions de dollars (pour un modèle 2000S) et 58 millions de dollars (pour le 8X).

Pour la visite, l’escalier du 7X est déplié. Une fois les six marches gravies, s’ouvrent à droite les espaces réservés aux passagers. D’abord, le grand salon pouvant accueillir huit personnes, suivi d’un second, modulable en chambre, de toilettes et d’un coin bagages. Chaque siège en cuir de cette “executive sitting area“dispose de son propre écran télé, d’une connexion Internet en WiFi, d’un téléphone et d’une tablette. À gauche, on entre dans un cockpit ultramoderne : l’avion est actuellement le seul avion d’affaires au monde à posséder des commandes de vol numériques. Ce bijou technologique – il peut parcourir jusqu’à 
11 000 kilomètres sans escale – est l’un des fleurons de Dassault Falcon Jet, créé en 19721 et filiale américaine de Dassault Aviation. Laquelle société, fondée en 1929 par Marcel Dassault, appartient à la holding, le Groupe Industriel Marcel Dassault (GIMD).

Outre ses activités aéronautiques, le groupe s’implique depuis des décennies en France dans le secteur de la communication, de l’art et de l’immobilier. Mais son cœur de métier demeure l’aviation militaire et civile. Avec 12 000 collaborateurs, dont 8 000 en France, Dassault Aviation possède une présence commerciale forte dans plus de quatre-vingt pays. Mais c’est aux États-Unis que l’entreprise a choisi d’implanter sa filiale principale : Dassault Falcon Jet. La firme emploie plus de 2 500 personnes réparties sur quatre sites : 1 800 à Little Rock, Arkansas ; 400 à Wilmington, Delaware ; 350 à Teterboro, dans le New Jersey ; et 25 à Reno, Nevada. Ce site, à une trentaine de kilomètres de Manhattan, accueille le siège de Falcon Jet et son petit aéroport est utilisé pour les démonstrations d’avions aux clients.

Lindbergh, ambassadeur de Falcon en Amérique

De son bureau, dans l’immeuble situé de l’autre côté de la route, Jean Rosanvallon, son directeur général depuis 1996, raconte cette saga française en Amérique. C’est d’abord une anecdote, que tout le monde connaît dans la maison. L’arrivée de Charles Lindbergh, alors conseiller de la Pan Am, à l’usine Dassault de Mérignac, près de Bordeaux, en mai 1963, afin de trouver un avion d’affaires susceptible d’être commercialisé aux États-Unis. “À cette époque, explique Jean Rosanvallon, le PDG de Pan Am, Juan Trippe, avait l’intuition que l’aviation d’affaires serait promise à un bel avenir. C’est la raison pour laquelle il avait demandé au célèbre aviateur de prospecter le marché.

Le pilote, le premier à avoir relié sans escale New York à Paris en 1927, est accompagné d’une délégation de la compagnie Pan American World Airways, venue assister au premier vol d’essai du prototype du Mystère 20. À 17h15, l’avion, piloté par René Bigand, décolle pour sa démonstration. Séduit par les performances de l’appareil, Lindbergh envoie à son patron le télégramme suivant : I found our bird“. En juillet de la même année, sur cette recommandation, Pan Am décide de commercialiser et d’assurer le support du Falcon 20, rebaptisé “Fan Jet Falcon“. Elle en commande 40 et pose une option sur 120 autres appareils. S’ensuivent plusieurs décennies de développement. “Durant les années 60 et 70, poursuit Jean Rosanvallon, la vente des jets connaît une forte croissance car les grandes entreprises réalisent que ces avions sont de formidables outils pour améliorer leur productivité et elles s’équipent. Jusqu’à l’an 2000, le marché américain représente les deux tiers du marché mondial !“. En 1972, cent Falcon sont en service, ce qui conduira en décembre de la même année Dassault Aviation et PanAm à créer Falcon Jet corporation, une joint venture à 50-50.

La principale raison de ce succès tient à cette capacité à combiner une technologie de pointe, destinée à l’aviation militaire (Mirage, Rafale), et un souci de confort et d’esthétique. “Pour Marcel Dassault, un avion doit être beau“, confirment les équipes. Dès ses débuts en 1971, Federal Express achète trente-trois Falcon 2O, qu’elle fait customiser à l’intérieur comme à l’extérieur dans la petite usine qu’elle possède à Little Rock, Arkansas. Dans cette usine de montage, les avions convoyés en peinture d’apprêt depuis la France, reçoivent leurs équipements et aménagements définitifs, ainsi que leur peinture extérieure selon les demandes des clients. Ces avions de luxe personnalisés séduisent les stars passionnées de pilotage mais surtout des entreprises, comme AT&T qui IBM passent commande.

Des entités gouvernementales acquièrent ces jets hauts de gamme. À Teterboro, on est encore très fier de ce premier contrat “ prestigieux“, signé en 1979 avec les gardes côtes américains, pour 41 Falcon 20G destinés à la surveillance maritime. À raison ! Les Américains ont préféré le Français à ses principaux concurrents américains. En 1976, Dassault assoit encore sa réputation en lançant le Falcon 50, premier triréacteur d’affaires capable de traverser l’Atlantique sans suivre les côtes. Fort de ces réussites technologiques et commerciales, Dassault rachète en 1981 la moitié des parts de la Pan Am, qui connaît des difficultés financières, et devient ainsi l’unique propriétaire de cette société. En 1995, elle prend définitivement le nom de Dassault Falcon Jet, le changement d’appellation étant destiné à marquer davantage encore son appartenance au groupe.

Cette montée en puissance de l’entreprise se traduit géographiquement. En 1974, elle pose un pied dans l’Arkansas, comme le rappelle Jean Rosanvallon. “FedEx au départ a connu de grosses difficultés financières. Nous lui avons donc proposé un troc : Falcon Jet efface ses dettes en échange de l’usine de Little Rock.” Marché conclu, et aussitôt rentabilisé. Cette unité qui, à l’époque, disposait d’à peine 100 employés, devrait dépasser en 2015 les 2 000 salariés. Et conforte sa place de plus grande usine dans le monde. C’est à Little Rock désormais que sont aménagés les Falcon, après avoir été construits et assemblés dans l’usine de Mérignac, près de Bordeaux. “Notre organisation technique et industrielle franco-américaine reflète notre recherche du meilleur équilibre entre la compétence et les coûts, explique Jean Rosanvallon. Nos revenus pour l’activité Falcon étant presque exclusivement en dollars, nous recherchons aussi l’équilibre entre nos coûts en euros et en dollars.

Autres implantations significatives : celle du siège à Teterboro en 1997 suivie, trois ans plus tard, par l’achat d’une société de maintenance à Wilmington (Delaware), où seront procédées toutes les opérations de maintenance et de mise à jour des instruments du cockpit. En 2009, Dassault Falcon Jet établit une autre station service à Reno (Nevada).

Si toutes ces acquisitions marquent le succès de Falcon aux États-Unis, elles doivent néanmoins relever plusieurs défis. L’époque du French bashing a pu s’avérer problématique. En 2003, nous avons eu quelques clients déçus de l’attitude de la France, se souvient Jean Rosanvallon. D’autres se sont retrouvés dans des situations embarrassantes. Je pense à Michael Bloomberg, qui a titre personnel a toujours apprécié le Falcon, mais hésitait sur la position à tenir en tant que maire de New York. Jean-David Levitte, alors ambassadeur de France aux États-Unis, l’a appelé pour lui faire comprendre le point de vue de la France. Bloomberg, qui a été sensible à ce geste, a finalement choisi de nous rester fidèle.

Afin que ses salariés ne se retrouvent pas en porte-à-faux avec la diplomatie française, Jean Rosanvallon leur a adressé une lettre dans laquelle il revenait sur les raisons qui ont poussé la France à s’opposer à la guerre en Irak. À l’inverse, Falcon Jet sait aussi faire preuve de loyauté envers les États-Unis. Ainsi, en 2001, l’entreprise française a remis un chèque d’un million de dollars au maire de New York, Rudolph Giuliani, pour soutenir les victimes du 11-Septembre. Si les relations franco-américaines se sont depuis largement apaisées, Falcon va cependant peu après entrer dans une nouvelle zone de très fortes turbulences. Économiques, cette fois.

Le marché américain résiste à la crise

Après un climat euphorique –, commandes en rafales de Falcon neufs ou même d’occasion –, la crise éclate en 2008. Elle fut durement ressentie par Falcon dès l’année suivante, en 2009. “Nous avons eu beaucoup de contrats annulés“, poursuit Jean Rosanvallon. Il faut attendre 2013 pour que la reprise s’amorce. Notamment grâce aux BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) qui ont moins souffert que les autres du ralentissement mondial. “Ce qui nous a aidé, c’est l’ouverture du marché chinois, à partir de 2010. Il est devenu pour les 7X, le second marché après les États-Unis. Les clients sont des entrepreneurs privés qui ont très bien réussi ces dix dernières années dans l’immobilier ou les produits manufacturés.” Des hommes qui rêvent en réalité de made in USA mais avec une French touch.

Si la demande chinoise semble ralentir en 2014, Jean Rosanvallon se dit optimiste à moyen et long terme : “Près de 12 000 jets d’affaires volent aux États-Unis, contre environ trois cents en Chine. Nous disposons encore d’une forte marge de croissance.” Globalement, les perspectives redeviennent encourageantes : “les prises de commandes lors du NBAA (National Business Aviation Association) au 30 septembre dernier sont supérieures à celles de toute l’année 2013. La reprise se confirme sur le marché américain et l’Europe n’a pas dit son dernier mot. “L’Allemagne, la Grande-Bretagne et la Scandinavie par exemple restent des marchés actifs, confie Jean Rosanvallon.

Cinquante ans après le Mystère 20 qui avait séduit l’Amérique, c’est de nouveau aux États-Unis que Dassault Aviation a choisi de présenter le futur modèle de la gamme Falcon. Préparé en secret depuis 2009 sous le nom de code de SMS, le nouveau Falcon a été dévoilé à Las Vegas en 2013, en ouverture du Salon de l’aviation d’affaires NBAA. Le Dassault Falcon 5X, qui coûtera 45 millions de dollars, concurrencera directement les prochains avions de Gulfstream Aircraft et Bombardier (BBD.A.T), avec un espace cabine plus vaste et aussi large que celui des modèles plus imposants des deux groupes. L’appareil devrait assurer son premier vol en 2015.

Enfin, au salon de l’EBACE (European Business Aviation Convention & Exhibition), la convention annuelle de l’aviation d’affaires européenne à Genève, en mai 2014, Dassault annonce le Falcon 8X, qui deviendra le fleuron de la gamme. Pour la première fois, Dassault Aviation développe deux nouveaux avions en parallèle.

Le succès attendu de ce nouvel avion, comme le maintien économique de Falcon, en dépit de la crise, incite à l’optimisme. Selon le cabinet Amstat, il se vendra 22 300 jets d’affaires au cours des vingt prochaines années, entre le renouvellement de la flotte existante et la demande des pays émergents. Soit à peu près autant de jets d’affaires que les prévisions pour les avions de ligne !

1 Le 1er janvier 1995, Dassault Aviation et Falcon Jet fusionnent certaines opérations mondiales et renomment la filiale américaine ­”Dassault Falcon Jet Corp.”

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