Entre pique-nique dans Central Park et réunions politiques, les militants d’En Marche ! à New York font campagne pour Emmanuel Macron.
Au sous-sol du Café Tallulah, l’horloge sonne 14 heures. Drôle d’horaire pour commencer une soirée. Mais les personnes réunies dans ce bar de l’Upper West Side ont les yeux rivés sur une autre horloge que celle des New-Yorkais : celle de Paris.
Dimanche 22 avril, au milieu des drapeaux français, une foule d’expatriés français attendait de pied ferme les résultats du premier tour de l’élection présidentielle française. Rassemblés dans une pièce à la lumière tamisée, aux murs de briques et décoré de petites tables en cuivre, ils sont venus soutenir Emmanuel Macron, le candidat indépendant, que l’on compare à un jeune et élégant “Kennedy français”, désireux d’une France plus optimiste, accueillant la mondialisation à bras ouverts. Une image aux antipodes de sa concurrente Marine Le Pen, leader et ex-présidente du Front national, dont la conception du pays est plus xénophobe et nationaliste. Les deux candidats, qui ont respectivement fini premier et deuxième parmi les onze candidats en lice au premier tour, s’affronteront en finale le 7 mai prochain.
“Allez !”, s’exclament les supporters de Macron, annoncé en tête dans les sondages, avant d’entonner l’hymne national : pour un candidat indépendant, arriver aussi loin dans une élection présidentielle est déjà une situation inhabituelle. Mais un candidat indépendant qui fait campagne sans le soutien d’un parti politique bien établi, c’est tout simplement du jamais-vu. “La France est de retour !”, crie Florent Joly, un fondateur d’En Marche ! New York, l’une des quelque 45 branches qui ont vu le jour aux Etats-Unis depuis que Macron a lancé son mouvement en avril 2016.
La victoire de Macron en est également une pour les expatriés comme Florent, qui sont l’exemple incarné de l’approche mondiale adoptée par Macron. Près de 30 000 citoyens français sont inscrits auprès du consulat général de France à New York (en incluant les citoyens non-inscrits, on estime à 80 000 le nombre de Français expatriés à New York). D’après l’ambassade, environ 53% des électeurs de New York (13 000 au total) ont choisi Macron au premier tour. La participation globale de la ville a augmenté, passant de 36% aux élections de 2012 dont François Hollande est sorti vainqueur, à près de 47%. Sur l’ensemble du territoire français (incluant les départements d’outre-mer), ce taux a légèrement reculé : de 80% en 2012 à environ 78% en 2017.
Bien que le candidat socialiste Hollande ait été élu en 2012, c’est son concurrent et ancien président Nicolas Sarkozy (Les Républicains) qui avait remporté la majorité des votes des expatriés de New York. Traditionnellement, les expatriés aux Etats-Unis votent pour les candidats de droite, explique Arthur Goldhammer, chercheur au Center for European Studies de l’université Harvard. “La communauté des expatriés est généralement plus conservatrice que la population française locale”, précise Goldhammer, qui traite régulièrement de la politique française sur son blog.
Convaincre cet électorat de voter pour Macron faisait partie des principaux objectifs d’En Marche ! New York (le candidat de la droite traditionnelle, François Fillon, s’est placé en deuxième position à New York). Depuis le lancement de la branche locale en août dernier, les trente-cinq membres de l’équipe ont organisé des meetings dans des immeubles de bureaux, démarché dans les parcs, et levé des fonds pour le QG de campagne à Paris. Une semaine avant cette date, Florent Joly et son équipe ont installé à Central Park un kiosque de drapeaux français qui est devenu le signe de ralliement d’En Marche ! Grand, dégingandé, et parfaitement coiffé, Joly passe d’une conversation à une autre en toute facilité. Affublé du t-shirt gris officiel d’En Marche !, il a répondu aux questions des électeurs concernant la plateforme progressiste d’Emmanuel Macron, qui met l’accent sur les start-up technologiques, l’Union européenne, et l’éducation bilingue. “Il combine les éléments que les expatriés français voient en eux-mêmes, précise-t- il. Libérer l’économie, faciliter l’investissement pour les gens. Mais en parallèle, ne pas léser sur l’éducation, la culture ou la santé. Ces aspects doivent être protégés pour rester français.”
Florent, 27 ans, un responsable marketing chez Google, pourrait tout aussi bien être la tête d’affiche du mouvement de Macron. Originaire de Marseille dans le sud de la France (un bastion du Front national), il a passé son baccalauréat dans un lycée international où la moitié des cours étaient dispensés en anglais. Il se souvient encore de sa déception, à l’âge de 15 ans, lorsque la France a rejeté une proposition de constitution européenne. “J’en pleurais ! L’avenir semblait s’amenuiser”, explique-t- il. Alors qu’il engageait les démarches pour obtenir sa carte verte, Florent Joly explique qu’il s’est senti déconnecté de son pays d’origine. Les élections présidentielles françaises et le “crescendo” du Brexit et de l’élection de Donald Trump ont nourri son désir de s’engager dans la politique à l’étranger. “J’ai atteint un stade où je souhaitais trouver des moyens de participer”, explique-t-il.
Quand Emmanuel Macron a lancé En Marche ! en avril 2016, Florent Joly a envoyé un e-mail au siège du mouvement à Paris dans le but d’ouvrir une branche à New York. Trois mois plus tard, son projet a non seulement été approuvé, mais il a même été chargé d’organiser le voyage du candidat à New York, dont le point culminant était un discours à Washington Square Park en décembre.
“Je ne suis généralement pas surpris quand je rencontre des personnes connues, confie Matthieu Teachout, qui a aidé à organiser la visite de Macron. Il est comme tout le monde, comme vous et moi.” Ce citoyen franco-américain a ensuite escorté Macron jusqu’à une conférence à New York University. Au cours de ce trajet, il a proposé au candidat son idée de contribution à la campagne : un tour de France en Peugeot J7, aux allures de van Volkswagen des années 1960. Il avait imaginé un road trip citoyen visant à promouvoir le mouvement En Marche ! Deux mois plus tard, l’idée est officiellement devenue En Marche ! Le Tour.
En février dernier, Matthieu, sa femme Violaine, et deux de leurs amis se sont rendus dans des villes et villages ruraux, pour y faire du porte à porte, et aller à la rencontre de supporters, mais aussi d’électeurs encore indécis. Le café et le thé gratuits ont souvent fait l’affaire, raconte Matthieu Teachout. “C’est ce qui a donné autant d’ampleur au mouvement, ajoute-t-il. L’impact d’En Marche ! découle des actions de terrain.” Pendant trois mois, ces quatre bénévoles ont parcouru près de 5000 km, au départ de la banlieue toulousaine dans le Sud-Ouest. Ils sont ensuite partis vers l’est, dans les villes longeant la frontière allemande ; puis vers le nord, près de la Belgique ; et ont terminé leur boucle à Périgueux, leur destination finale, près de Bordeaux. (Une version du Tour à plus petite échelle continue autour de Paris.)
Le couple avait planifié une telle aventure politique depuis 2016. Cette année-là, ils avaient pris une bonne résolution à l’occasion du Nouvel an : empêcher la montée du Front national alors dirigé par la candidate ultra-conservatrice Marine Le Pen. Violaine, qui avait participé au dépouillement des votes en Provence, dans le sud de la France, a commencé à s’inquiéter face aux résultats du FN lors des élections régionales de 2015 – qui sont le pendant des élections des gouverneurs aux Etats-Unis. La résolution du couple s’est ensuite poursuivie l’année suivante, après l’élection de Donald Trump. En tant qu’expatriés hautement éduqués, et vivant à New York, ils en ont eu assez de ce que Matthieu appelle la “bulle”. “On ne connaît personne qui a voté pour Trump ou Le Pen, admet-il. Nous sommes donc sortis de cette bulle dans laquelle nous étions pour voir de nos propres yeux comment les gens vivaient dans ces déserts de la réalité française.”
Pour eux comme pour la plupart des expatriés français, les élections américaines ont ravivé leur intérêt pour la politique française. Outre les rassemblements organisés par En Marche !, les électeurs indécis ont pu assister à des meetings locaux dédiés au candidat républicain François Fillon, et au candidat de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon. Christine Tuaillon, 47 ans, n’arrivait pas à trancher entre Macron et Mélenchon. Si elle appréciait l’approche pro-européenne du premier, elle ne pouvait pas, en tant que professeure de biologie au Nassau Community College (Garden City, New York), ignorer le programme de Mélenchon consacré au dérèglement climatique.
Vêtue d’un chapeau beige et d’une robe en dentelle blanche, elle a rejoint ce jour-là (un jour après le rassemblement d’En Marche ! à Central Park) une vingtaine de supporters de Mélenchon, pour un pique-nique faisant également office de meeting. Assis en cercle dans l’herbe et dégustant des olives et du fromage, ils ont discuté en profondeur de l’engagement du candidat de financer l’Etat-providence, les artistes, et sa politique en matière de changement climatique. Etant donné que Macron et Le Pen sont les deux candidats du deuxième tour, Christine Tuaillon explique qu’elle se trouve face à un nouveau dilemme : voter Macron ou ne pas voter du tout. Contrairement aux autres candidats éliminés au premier tour, Mélenchon a refusé d’apporter officiellement son soutien à Macron.
Matthieu Teachout précise que l’abstention constituera le principal obstacle au cours des jours décisifs qui précèdent le second tour, samedi 7 mai en Amérique du Nord, et dimanche 8 mai en France. Si une majorité d’électeurs ne votent pas pour Macron, cela pourrait bien rapprocher Le Pen de la présidence.
Mais Florent Joly est optimiste. C’est cet espoir — l’espoir d’une France moderne, tournée vers l’avenir — qui l’a porté l’année passée. A 23 heures, heure parisienne, lorsque Macron a prononcé son discours de félicitation, Florent faisait directement face à l’écran. “On va gagner !”, s’est exclamé Macron, les bras levés. Un sourire apaisé s’est alors dessiné sur le visage de Florent. Pour lui, le décalage horaire de six heures s’est rétréci. A ce moment précis, c’est comme s’il était à Paris.
Alexander Gonzalez est étudiant en Master “Magazine Journalism” à New York University.
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