French Rosé Finds Fame and Fortune in the U.S.

Les ventes de rosé ont bondi de 53% l’an dernier aux Etats-Unis. Une progression record qui s’explique par la culture grandissante du vin en Amérique du Nord et par un marketing agressif de la part des producteurs du Sud de la France.

Le rosé, il est vrai, n’a pas toujours eu bonne réputation. Longtemps, le rosé de référence aux États-Unis a été le White Zinfandel de la maison Sutter Home, un vin californien couleur grenadine, sucré et sirupeux. Une boisson bon marché popularisé par la comédie romantique Pretty in Pink. Tout sauf chic. “Bien des Américains pensent que le rosé est un vin bas de gamme”, témoigne l’œnologue franco-américain Paul Chevalier. Ancien employé de Veuve-Clicquot, il est maintenant en charge de la promotion du domaine provençal Château d’Esclans aux Etats-Unis. “J’essaye d’éduquer les consommateurs : j’attire leur attention sur la teinte — rose pâle — puis sur le goût — sec et fruité.”

Le rosé ne représente que 5% du marché du vin aux Etats-Unis, mais il affiche le taux de croissance le plus important : les ventes ont augmenté de 53% entre 2016 et 2017. Les prévisions sont encourageantes pour l’année 2018. Le rosé est la boisson estivale par excellence ; le deuxième samedi de juin a été décrété National Rosé Day par les marchands américains. Dans la région de New York et parmi les jeunes consommateurs, le “pink wine” commence même à concurrencer les champagnes et vins mousseux.

Convertir les Américains au rosé provençal

Une bouteille de rosé sur cinq aux Etats-Unis porte l’étiquette de Château d’Esclans, à 30 kilomètres au nord de Saint-Tropez. La popularité du millésime Whispering Angel — le best-seller de ce domaine et le vin français le plus vendu aux Etats-Unis en 2016 — est à l’origine de l’engouement des Américains pour le rosé. Aucun vin français n’a été aussi populaire en Amérique du Nord depuis le beaujolais nouveau de Georges Dubœuf dans les années 1980. En 2007, Château d’Esclans a vendu 6 000 bouteilles aux Etats-Unis. Son objectif pour cette année ? Cinq millions.

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Une bouteille de rosé de Château d’Esclans au festival Pinknic à New York en 2017. © Pinknic

Pour convertir les Américains au rosé provençal, le représentant de Château d’Esclans passe son temps sur la route. La marque, qui exporte 60% de sa production aux États-Unis, a sponsorisé 458 évènements en 2017 : l’U.S. Open de tennis, le festival Coachella, une régate à Nantucket, un salon nautique à Palm Beach et des soirées dans les stations d’altitude du Colorado. Son DJ officiel ? Une certaine Nicole Rosé.

L’essor du rosé passe aussi par des produits dérivés : bougies “Eau de rosé”, casquettes brodées “Make America Rosé Again”, matelas de piscine en forme de bouteille, sucettes glacées aromatisées. Ce marketing, pas toujours de très bon goût, a contribué à la popularité du rosé auprès des jeunes consommateurs, et notamment des femmes entre 28 et 33 ans. Selon le Français Pierrick Bouquet, qui organise deux évènements annuels sur le thème du rosé à New York — la croisière La Nuit en Rosé et le festival Pinknic —, le rosé est devenu “le champagne des millennials”.

Des rosés made in the U.S.A.

La moitié des bouteilles de rosé vendues aux Etats-Unis sont importées de France, mais un tiers sont produites sur place. Un pour cent des rosés servis lors de la première édition de La Nuit en Rosé en 2014 étaient américains ; cette année, dix pour cent seront produits aux Etats-Unis. “Les vins des régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et Occitanie restent la référence”, témoigne Pierrick Bouquet. “Mais certains rosés américains sont aujourd’hui de qualité égale aux vins français.”

Pour conjurer l’image négative du White Zinfandel, les producteurs américains s’inspirent maintenant des techniques viticoles françaises. Michael Croteau, originaire du Vermont, produit du rosé à Southold sur la côte nord de Long Island. Les vignerons provençaux lui ont appris à sélectionner les cépages — il a fait venir de Californie des pieds de merlot, de cabernet franc et de sauvignon blanc — et à minimiser l’utilisation de sulfites : le rosé, qui doit être consommé dans l’année, nécessite moins d’agents conservateurs qu’un vin rouge. Le maître de chai de Croteaux Vineyards a également suivi une formation de trois semaines au Centre de recherche et d’expérimentation sur le vin rosé à Vidauban, dans le Var. “Nos rosés s’améliorent d’année en année”, affirme Michael Croteau. “Nous produisons un rosé de type provençal, mais l’environnement marin de Long Island apporte au vin une tonalité minérale singulière.”

Le savoir-faire provençal en Californie

Les producteurs américains recrutent aussi des œnologues et des maîtres de chais français. Julien Fayard, ancien employé de Château Lafite-Rothschild dans le Bordelais, est maintenant consultant dans la vallée de Napa. Il offre ses services à huit domaines. “Le nord de la Californie et la Provence sont proches”, observe le Français qui a grandi à Toulon — sa famille possède le domaine Château Sainte-Marguerite, réputé pour son rosé. “Les sols de schiste et de granit sont comparables à ceux de la Provence ; les journées sont aussi chaudes, mais les nuits sont plus froides.”

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Le vignoble Covert Estate est l’un des huit domaines californiens qui font appel aux services du Français Julien Fayard pour produire du rosé. © Jimmy Hayes

Contrairement à une croyance populaire, le rosé n’est pas une mélange de vin rouge et de vin blanc ! C’est la peau rouge du raisin qui donne sa couleur au jus, vert pale au moment de son extraction. Certains cépages macèrent pendant deux heures ; d’autres jusqu’à vingt-quatre heures. Plus le processus est long, plus le vin est foncé et sucré. “Il faut aller vite entre le ramassage et le pressage et être précis dans les manipulations”, explique Julien Fayard. “Cela a pris du temps pour enseigner cette méthode aux producteurs californiens.”

Le Français est satisfait du résultat. Il commercialise depuis 2007 un “rosé américain d’inspiration provençale” obtenu à partir de syrah et de grenache, deux cépages du sud de la France. Quarante-deux mille bouteilles d’Azur Rosé seront vendues cette année en Californie, dans l’Oregon, en Floride, dans le Missouri et au Texas. “Le terroir d’Azur Rosé est californien, mais notre savoir-faire est français.”

Le rosé américain, une menace pour les vins français ?

Le rosé de Californie ou de l’Etat de New York gagne en qualité, mais il est loin de concurrencer les cuvées françaises. Les cépages plantés aux Etats-Unis — mourvèdre, grenache, syrah, cabernet franc ou merlot — sont trop jeunes pour produire un rosé haut de gamme. Ce qui incite les producteurs américains à pratiquer l’assemblage (blend). Un procédé courant sur la côte Ouest : le rosé de Josh Cellars, par exemple, est obtenu en combinant la récolte de plusieurs vignobles du centre et du nord de la Californie. “C’est un bon vin américain”, admet Pierrick Bouquet “mais son origine vague le classerait en France dans la catégorie des vins de table”.

Les rosés américains se distinguent par leur prix. En France, une bonne bouteille de rosé est vendue entre 10 et 15 euros ; elle coûte le double à New York. Les vins américains, entre 15 et 20 dollars la bouteille, offrent un bon rapport qualité-prix, explique l’organisateur de La Nuit en Rosé. “Les rosés américains se rapprochent des vins du centre de la France. Un pinot noir rosé de l’Oregon comme Elouan est comparable à un sancerre rosé de la Vallée de la Loire.”


Article publié dans le numéro de juin 2018 de France-Amérique
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