La même question se pose à chaque fois qu’un attentat islamiste endeuille une ville occidentale, comme Manchester cette semaine. Le terroriste est-il un guerrier parti en croisade ou un jeune déraciné frustré ? Est-il un “bon” musulman ?
Le 21 mai dernier à Ryad, Donald Trump s’exprimait devant les dirigeants saoudiens et les principaux rois et émirs du monde arabe. Exceptionnellement, le président américain se maîtrisait et s’en tenait au texte écrit par ses diplomates. Il ne s’attaquait plus à l’Islam en général, mais aux terroristes islamistes. Il invitait les “bons” musulmans à éradiquer ces terroristes, de concert avec les Etats-Unis.
Nous, Occidentaux, ne parvenons pas à faire entrer les musulmans dans les cases de nos raisonnements traditionnels : nous avons le plus grand mal à distinguer les bons et les méchants, les alliés et les ennemis. Nous voudrions faire de la distinction chiisme/sunnisme une lunette à tout déchiffrer. Mais elle ne marche pas. La raison est que par-delà cette distinction, il en existe mille autres. L’Islam ressemble plus au monde protestant évangélique qu’à l’Eglise catholique : c’est une collection infinie de cultes autonomes, sans normes universelles ni autorités reconnues.
Pour y voir plus clair, nous pourrions considérer les mondes musulmans non pas au travers de la religion, mais telle une collection de peuples, chacun avec sa culture et ses intérêts particuliers, dont l’Islam est seulement une composante. Après tout, quand nous entrons en relation avec le Brésil ou la Corée, nous ne les définissons pas par leur religion. A l’inverse, quand nous estimons que tout pays où l’Islam est majoritaire est un pays islamique, nous acceptons par inadvertance la définition qu’en donnent les prédicateurs islamistes les plus radicaux : ce sont eux qui veulent tout ramener à la religion et nous entraîner dans leur simplisme.
L’approche que je propose est plus culturelle que religieuse, plus sociologique qu’essentialiste. Ces deux interprétations — sociologique ou essentialiste — s’affrontent à chaque fois qu’un attentat islamiste endeuille une ville occidentale, comme Manchester cette semaine. Le terroriste a-t-il obéi aux préceptes du Coran invitant à la guerre sainte ? Ou bien le terroriste est-il un jeune déraciné, chômeur, trafiquant de drogue, qui se réclame de l’Islam pour légitimer sa violence ? Pour ma part, s’il faut choisir — et il faut bien choisir ne serait-ce que pour mieux coexister avec les mondes musulmans et contenir la terreur d’un côté, le racisme de l’autre —, il me semble que la sociologie est plus éclairante que la lecture du Coran.
Il me semble aussi que les musulmans se définissent au moins autant par leur culture locale que par leur foi. Un Bengali est bengali et musulman ; un Javanais est javanais et musulman, un Afghan est pachtoune et musulman. Souvent, ils sont plus bengalis, javanais ou pachtounes que musulmans. Les musulmans les plus problématiques, qui ne connaissent l’Islam que par le web, sont des déracinés. Enfin, il me semble que nous autres Occidentaux n’avons aucune bonne raison, ni au nom de nos intérêts commerciaux, ni au nom du respect d’une quelconque “diversité culturelle”, d’abdiquer nos valeurs et convictions.