“Heal the Living” by Katell Quillévéré Arrives in U.S. Theaters

Après un accident, Simon, 17 ans, est en état de mort cérébrale. D’abord réticents, ses parents finissent par accepter de faire don de ses organes, permettant à son cœur de sauver une autre vie. Adapté du roman à succès du même titre de l’écrivain français Maylis de Kerangal, le film est à voir en salles américaines à compter du 14 avril.

France-Amérique : L’écriture de Maylis de Kerangal est narrative, descriptive et peu dialoguée. Comment avez-vous opéré le passage du texte à l’écran sans abolir le récit ?

Katell Quillévéré : Avec mon co-scénariste Gilles Taurand, on a lu le livre ensemble. A chaque page, on s’est posé la question de savoir ce qui était pour nous cinématographique ou pas. Comme pour une opération du cœur, un travail de prélèvement était nécessaire afin de sélectionner les scènes nous paraissant être des jalons évidents du roman, transposables immédiatement à l’écran. Pour les autres scènes, qui nous semblaient plus fragiles ou plus difficiles à adapter, on se demandait ce qu’elles contenaient de nécessaire et comment transposer cette matière dans un récit de cinéma très éloigné du récit littéraire. Une force du roman de Maylis de Kerangal est la temporalité. Le roman est écrit à travers la digression mentale de ses personnages : leur passé (souvenirs), le temps présent (un entre-deux entre la vie et la mort) et le futur (après la greffe). De nombreuses coupes ont été nécessaires, sans quoi le film aurait duré 6 ou 7 heures !

L’océan est très présent dans l’univers de Maylis de Kerangal. L’image et le bruit des vagues accompagnent le film et sont à l’origine de belles trouvailles visuelles…

Plus que l’océan, ce sont les ondes qui inondent l’œuvre de Maylis de Kerangal. Les vagues sont un élément récurrent de mon film qui découle de la digestion de son écriture. La vague est à la foi métaphorique et fondatrice : faire naître ce film dans l’eau était une évidence. La scène d’ouverture du film, une scène de surf, prend plus de place proportionnellement à l’écran que dans le roman. Cette scène établit la relation sensorielle au spectateur qui est placé d’emblée dans un état matriciel, amiotique. La pulsion de mort et de vie y est très présente. Dans le surf, il y a quelque chose d’assez fou dans le fait d’aller risquer sa vie, d’aller se loger au cœur d’une vague, de s’y faire broyer avant d’en être éjecté. Cette sortie de la vague est comme une renaissance : les poumons s’ouvrent, la lumière jaillit. La vague donne ou fauche la vie. Elle nous renvoie à la fragilité de notre existence.


Vous avez déclaré : “une greffe est à la fois quelque chose d’ultra matériel qui relève de la plomberie et de la couture et en même temps de la magie pure”. Comment avez-vous choisi d’illustrer cette dualité du trivial et du sacré ?

Je me suis d’abord confrontée au réel en assistant à une véritable opération de greffe. Je suis partie du processus scientifique avant de recomposer ces scènes. Les scènes d’opérations ou de maniement du cœur sont le fruit d’effets spéciaux en plateau mais elles ont été travaillées et réfléchies en collaboration avec de vrais chirurgiens, d’où la sensation de véracité. Ce travail sur le réel n’exclut pas une extrême sophistication, un travail sur la lumière et le cadrage. Les blouses et la couleur des murs du bloc opératoire par exemple sont inspirés des toiles du Caravage. Les artifices cinématographiques apportent au récit réaliste une dimension sacrée qui magnifie le réel. Il y aussi a une influence religieuse dans le film, comme cette scène où les chirurgiens sont filmés autour de la table d’opérations tels les apôtres de la Cène. C’est subtil car je ne m’attarde pas sur ce plan. Quand Tahar Rahim lave le corps de l’enfant, on peut y voir une référence à Marie-Madeleine lavant le corps du Christ. Il existe un lien direct entre la chirurgie et la religion. Il a longtemps été interdit d’ouvrir les corps : c’était l’œuvre de dieu, l’humain n’avait pas le droit d’intervenir sur la vie et la mort. Quand on filme cette intervention, on s’aperçoit que cette subversion est toujours là. Les spectateurs ont du mal à regarder cette scène, ils trouvent cela gênant. Ce rapport transgressif au divin est toujours présent.

L’infirmier coordinateur est filmé comme un “passeur”. Pouvez-vous nous parler de ce personnage ?

C’est le personnage du film qui a la charge la plus symbolique : il est entre la mort et la vie, et autorise le passage d’un état à l’autre. C’est un passeur au sens mythologique du terme. Je suis allée chercher chez Tahar Rahim une forme de pureté : je lui ai rasé la barbe, j’ai filmé son visage d’une façon qui relève de l’angélisme. Il s’intéresse aux oiseaux rares, c’est quelqu’un de très professionnel, de poétique et de délicat. Dans la scène finale, il semble glisser sur la route avec sa moto, en longeant l’océan. C’est une sorte d’ange, d’accompagnateur.

Ce livre et ce film ont-ils eu un impact sur votre perception du don d’organes ? Etes-vous donneuse d’organes ? 

Oui, je vais donner mes organes. C’est une décision importante que j’ai prise après avoir réalisé ce film. Le cinéma n’a pas la prétention de changer le monde mais il peut provoquer un basculement chez le spectateur. Donner ou ne pas donner ses organes est un choix individuel très personnel qui appartient à tout un chacun. Je n’ai pas voulu faire une œuvre militante. J’espère que le film permet néanmoins au spectateur de s’ouvrir à la question et de prendre position.