Symbole national français, au même titre que la baguette et la tour Eiffel, cette galette de feutre issue des bergeries béarnaises joue les non-conformistes. Après avoir coiffé les paysans et les intellectuels, les ouvriers et les curés, les stars hollywoodiennes et les militaires, le béret mise sur le chic à la française et se réinvente en accessoire de mode chez Laulhère, dernière fabrique de bérets installée à Oloron-Sainte-Marie, dans les Pyrénées-Atlantiques.
“La casquette, c’est bon pour les ouvriers, le chapeau, c’est pas pratique, tandis que le béret, c’est simple, c’est chic, c’est coquet !” Les frères Prévert, dans le moyen métrage L’affaire est dans le sac (1932) font l’apologie du béret. D’origine utilitaire, le couvre-chef des bergers béarnais présente bien des avantages : solide et léger, il s’emboîte bien sur le crâne et ne s’envole pas au moindre coup de vent. Grâce au “cabillou” — sa petite queue sommitale —, il s’enlève facilement, se plie dans la poche, résiste aux intempéries, protège du soleil et du froid.
Détourné par les femmes dans les années 1920, il a accompagné les mouvements révolutionnaires et les évolutions vestimentaires. “Le béret peut se targuer de s’être retrouvé successivement sur la tête de Che Guevara, Thelonious Monk, Pablo Picasso et Greta Garbo, soit respectivement un militaire, un jazzman, un peintre et une star de cinéma hollywoodienne”, rappelle Rosabella Forzy, PDG de Laulhère, la dernière usine historique à fabriquer ce fleuron national dans le Béarn, sa patrie d’origine. N’en déplaise à Napoléon III, qui le décréta “béret basque”.
Le béret en Amérique
Au XIXe siècle, les vagues d’émigration béarnaise ouvrent un nouveau marché aux Etats-Unis. Le béret prend le large sur les paquebots transatlantiques et gagne les Montagnes Rocheuses, puis à partir de 1848, la Californie avec le Far West et la ruée vers l’or. On le retrouve un siècle plus tard à New York, sur le chef du fondateur du cubisme, Pablo Picasso, de passage à New York. Le béret est souvent représenté dans les toiles du maître, comme dans la célèbre Marie-Thérèse au béret bleu (1937). Avant lui, les impressionnistes — Cézanne, Monet, Pissarro, Renoir, Van Gogh — en ont aussi peint de toutes les couleurs.
Avec Hemingway et Malraux, du côté des républicains espagnols et des Brigades Internationales, le béret devient synonyme d’engagement politique, de parti-pris, voire de goût du risque. Au Front Populaire et chez les maquisards, il incarne la résistance. Arboré par Che Guevara, il symbolise la révolution. Avec Dizzy Gillespie, Thelonious Monk ou Charles Mingus, il se fait porte-étendard du jazz. Chaussures noires et béret vert, les Black Panthers l’empruntent à l’uniforme militaire. Mais c’est l’actrice américaine Faye Dunaway qui en fera un accessoire glamour de cinéma dans le film à succès d’Arthur Penn Bonnie and Clyde (1967), réinterprété en France par Brigitte Bardot et Serge Gainsbourg.
Un savoir-faire ancestral
Amateurs de goût, oubliez le modèle à bas coût majoritairement produit en Asie et vendu dans la rue à Paris aux touristes de passage. Un béret “made in France” nécessite pas moins d’une dizaine d’étapes pour sa confection. Le tricotage d’abord, en laine de mouton mérinos. Le remaillage ensuite, une opération consistant à fermer le tricot pour obtenir une forme circulaire. Viennent ensuite le feutrage – dans de l’eau tiède savonneuse, on resserre son réseau de mailles —, la teinture, l’enformage — on donne au béret sa forme définitive grâce à des cales en bois dont on augmente progressivement le diamètre jusqu’à obtenir la taille souhaitée —, le grattage — on soulève la fibre pour lui donner du volume —, le tondage — afin d’obtenir une surface parfaitement homogène et un toucher soyeux —, le décatissage — un traitement à la vapeur permettant de supprimer les faux plis et de redonner du gonflant à la laine —, le garnissage — coiffe de drap, de rayonne ou de soie posée en doublure à l’intérieur du béret, couture de la baleine de cuir autour de l’ourlet, et couture de l’écusson — et, ultime étape avant l’emballage, le bichonnage, consistant à enlever toutes les petites particules de laine à la pince à épiler.
Les maisons de couture du monde entier n’hésitent plus à se fournir à la source, dans les Pyrénées. “Il y a encore quelques années, la part des exportations représentait une dizaine de pour cent”, poursuit Rosabella Forzy. “Aujourd’hui, elle constitue un quart de notre chiffre d’affaires. Nous nous sommes aussi implantés en Chine et au Japon, l’an dernier. Cette année, c’est au tour des Etats-Unis.” En 2013, Laulhère a décroché le label “Entreprise du patrimoine vivant“, favorisant sa notoriété.
Avec 45 salariés, 200 000 bérets fabriqués par an et un chiffre d’affaires de 2,9 millions d’euros en 2015, la petite entreprise a capitalisé sur le luxe à la française pour exporter son savoir-faire : la haute couture est son premier client avec 35 % de sa production à destination des ateliers et des catwalks. 30 % de sa production coiffe les têtes des militaires (armée française et autres armées du monde), et 35 % celles des citoyens lambda, adeptes du béret traditionnel (gamme Héritage).
A New York, on le trouve en vente chez Lord and Taylor, chez le chapelier Village Hat Shop à Chicago, chez Shushan’s à La Nouvelle-Orléans ou à la Berkeley Hat Company de Berkeley, en Californie. Côté style, portez-le de préférence “à l’avant, à la Basque, en arrière à la Ché, ou sur le côté, à la hipster.” Comptez 25 dollars pour un modèle basique en laine, et jusqu’à 1 500 dollars pour un modèle “couture” en soie sauvage.
Article publié dans le numéro d’octobre 2016 de France-Amérique.[:]