Maille épaisse, style rétro, motifs géométriques et colorés : pour la génération Y (ou millennials, ces enfants nés entre 1980 et 1995), le jacquard évoque davantage les tricots de mamie que la haute couture. Retour des années 1980 oblige, ce motif made in France fait à nouveau parler de lui, se déclinant en jupe, en robe, en poncho ou en cardigan.
A l’origine, le jacquard désigne un tissu aux motifs complexes fait main ou à l’aide d’une machine à tricoter. Il tient son nom du métier à tisser inventé par Joseph-Marie Jacquard au XIXe siècle qui a permis de simplifier le tissage grâce au système de cartes perforées. Par extension, le jacquard désigne tout tissu dont les motifs sont visibles aussi bien sur l’endroit que sur l’envers. Une caractéristique des tissus de la ville de Damas en Syrie (appelés “damassés”), étape de la fameuse Route de la Soie. Aujourd’hui, ce terme générique est souvent associé dans l’imaginaire collectif au pull épais aux motifs de fibres colorées d’une teinte différente de celle du reste du vêtement. Largement représenté dans les publicités familiales des années 1970, son heure de gloire, le jacquard évoque le chalet de vacances à la montagne et les fêtes de Noël…
L’étrange tradition américaine du “pull moche”
Conçue pour protéger du froid, la maille jacquard est surtout utilisée pour les accessoires : bonnets, écharpes et gants multicolores. Dans les années 1980, la tendance sportswear importée des Etats-Unis arrive en France et c’est une avalanche de joggings colorés et de baskets. Le pull jacquard est à son apogée. Bientôt, il s’enrichit de motifs à thème : pères noëls, flocons de neige et chamois tissés dans la laine. Interrogez les millennials, ils n’en gardent pas que des bons souvenirs. Au coin du feu, une fois l’an, on lui trouvait encore du charme, mais quand notre mère nous obligeait à le porter à l’école, on ne pouvait que se remémorer le proverbe français : “le ridicule ne tue pas”.
Les amateurs de pop culture se souviennent aussi de l’épisode honteux de la comédie romantique Bridget Jones (2001) au cinéma, dans laquelle Mark Darcy, un avocat anglais guindé interprété par l’acteur Colin Firth apparaît à une réception de Noël affublé d’un pull ridicule à motif de tête de renne à nez rouge (Rudolph the Red-Nosed Reindeer), tricoté par sa mère. Une scène devenue culte qui a paradoxalement relancé la mode du pull kitsch.
Depuis 2011, les Américains fêtent ainsi la “journée du chandail moche de Noël” (Ugly Christmas Sweater Day, le 16 décembre) où chacun est invité à revêtir son sweat-shirt hivernal le plus kitsch. Cette tradition serait apparue aux Etats-Unis au XIXe siècle : les pulls, traditionnellement tricotés à la main par les tantes, les mères et les grands-mères étaient offerts en cadeaux aux membres de la famille au cours du réveillon de Noël. Comme le jacquard, le pull kitsch de Noël se serait popularisé dans les années 1980, en devenant un produit de masse industriel. Discrètement, le motif français — ou plutôt son imitation — s’est introduit dans les foyers américains.
Depuis, le pull jacquard a fait du chemin. De vêtement hasardeux, cette antithèse du chic à la française a retrouvé sa gloire sur les pistes d’Aspen ou de Megève, au point de s’imposer jusque sur les podiums comme une tendance vestimentaire hivernale. A la Fashion Week de New York et Paris, les défilés automne-hiver 2016 de Dolce & Gabbana et Jean Paul Gaultier, pour ne citer qu’eux, ont ramené sur le devant de la scène l’imprimé quadrillé. Une récompense inespérée pour ce motif jusqu’ici connoté, n’ayons pas peur des mots, assez ringard. La mode réserve bien des surprises.
Article publié dans le numéro de novembre 2016 de France-Amérique.