Pour attirer les touristes venus du Québec, de l’autre côté de la frontière, les Etats américains du Vermont et du New Hampshire misent sur la langue française. Une stratégie de développement économique et linguistique qui porte ses fruits.
A Burlington, la première ville du Vermont, même les parcmètres sont bilingues. A l’aéroport et à la marina, dans les jardins publics et dans les salles du Shelburne Museum, dans les restaurants et les commerces du quartier de Downtown, tous les panneaux d’information ont été traduits en français. Depuis 2011 et une résolution du conseil municipal, la ville de Burlington est “French-friendly”.
Plus de 40 000 francophones visitent Burlington chaque année, dont une vaste majorité de Québécois. Attirés par le taux de change avantageux et les faibles taxes, ils arrivent en voiture — Montréal est à deux heures de route — ou en bateau par le lac Champlain. Autres avantages : la ville est verte, à taille humaine (42 000 habitants) et les panneaux publicitaires y sont interdits par la loi. Burlington est “un petit village de campagne”, résume Ron Redmond, le directeur du Church Street Marketplace, qui regroupe les commerçants du centre-ville.
© Julie Richards Photography
Pour accommoder ses voisins du nord, la ville de Burlington s’est mise au français. En commençant par l’aéroport local, par lequel transitent 20% de voyageurs canadiens. Les panneaux de direction, le tableau des départs et des arrivées et le site web ont été traduits. Le drapeau canadien jouxte le drapeau américain sur le parking et dans le hall de l’aérogare, les commerces sont tenus d’afficher leurs informations en anglais et en français. “Nous voulons que les visiteurs francophones se sentent les bienvenus”, explique Gene Richards, le directeur de l’aéroport et l’arrière-petit-fils d’un immigrant québécois. “La relation entre le Vermont et le Québec fait partie de notre histoire et de notre culture ; elle est aussi essentielle à notre économie.”
En français dès le poste de douane
Plus de 1,5 million de Québécois traversent chaque année la frontière et dépensent 105,6 millions de dollars dans le Vermont. Le bilinguisme commence donc dès le poste de douane. “Bienvenue à nos voisins du nord”, annonce un panneau. “Nous espérons que votre séjour sera mémorable.” Pendant les mois d’été, les touristes québécois représentent plus de la moitié des clients du bar-restaurant Splash, sur la rive du lac Champlain à Burlington, et pour accueillir les plaisanciers, au moins la moitié des employés de la marina sont francophones.
Le long de Church Street, l’artère piétonne du centre de Burlington, les Québécois représentent jusqu’à 20% des visiteurs. Les commerçants affichent dans leur vitrine un autocollant bleu “Bienvenue Québécois” et tous les samedis de mai à octobre, les bénévoles de l’Alliance Française se relayent pour tenir un kiosque au centre-ville et renseigner les touristes québécois. Le 24 juin, jour de la Saint-Jean-Baptiste, la fête nationale québécoise, Burlington se couvre de drapeaux fleurdelisés et le stationnement est gratuit pour les voitures immatriculées au Québec !
Le mécène de la francophonie à Burlington
La résolution visant à promouvoir la langue française, renouvelée par le conseil municipal en 2018, est non exécutoire : elle n’impose pas l’affichage bilingue, elle le suggère, et ne bénéficie d’aucune aide financière de la mairie. Les panneaux, le kiosque d’information et les cours de français, dispensés par l’Alliance Française et offerts aux employés des boutiques, des cafés et des restaurants, sont financés grâce à la philanthropie.
Ernest Pomerleau s’est improvisé mécène de la francophonie à Burlington. Développeur immobilier et consul honoraire de France au Vermont, il a déjà donné “plusieurs milliers de dollars”. Ce descendant de Niçois émigrés au Québec au XIXe siècle considère son geste comme un investissement : “je rends hommage à mon héritage culturel tout en favorisant les échanges de part et d’autre de la frontière”.
Une initiative similaire dans le New Hampshire
A 150 kilomètres à l’est de Burlington, dans le New Hampshire, des panneaux “Bienvenue Québécois” et “Bienvenue au New Hampshire” ont aussi fleuri dans les vitrines des commerces de Littleton et de Bethlehem. A moins de deux heures de route de la frontière canadienne, ces petites villes situées au pied des Montagnes Blanches vivent essentiellement du tourisme. Chacun des 228 000 Québécois qui visitent le New Hampshire chaque année dépense en moyenne 281 dollars.
© Bienvenue au New Hampshire/Facebook
Mais jusqu’à il y a peu, explique Katharine Harrington, professeure de français à Plymouth State University, rien n’était fait pour accueillir les visiteurs francophones. Ainsi est né le programme Bienvenue au New Hampshire, financé à hauteur de 55 000 dollars par l’université, le New Hampshire Canadian Trade Council, le conseil qui encourage les échanges commerciaux entre le New Hampshire et le Canada, et une bourse de la Northern Border Regional Commission, une agence fédérale qui aide les régions frontalières du nord-est des Etats-Unis.
En miles et en kilomètres
Le programme, qui emploie depuis peu une traductrice à plein temps, offre aux commerces et aux entreprises des comtés de Grafton, Sullivan et Coös de traduire gratuitement leurs menus, leurs brochures et leur site web. Un annuaire en français des restaurants, cafés, hôtels, terrains de camping et autres sites touristiques de Littleton et de Bethlehem sera publié au printemps. Des séminaires d’initiation au français sont aussi offerts aux employés de l’hôtellerie et de la restauration et cinq bénévoles sensibilisent les clubs de randonnées locaux à la culture québécoise : ils les encouragent à traduire en kilomètres l’échelle des cartes qu’ils distribuent aux randonneurs et leur enseignent quelques formules pratiques : “Bonjour [Bon-joor]”, “Comment ça va ? [Kuh-mahn sah vah ?]”, “Bonne randonnée ! [Bun ron-done-ay]”.
Les touristes canadiens sont ravis d’être accueillis dans leur propre langue, observe Katharine Harrington, mais c’est encore trop peu. “Les résidents du New Hampshire n’osent pas revendiquer leurs racines francophones comme le font leurs voisins du Vermont et du Maine”, regrette-t-elle. “Mais nous avons grand besoin de francophones pour accueillir les Québécois et les inciter à passer du temps dans notre Etat.”
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