La coalition des ignorants

Lors des négociations du Traité de libre-échange transatlantique (TTIP en anglais), achevées le 23 octobre dernier à Miami, le Ministère des Affaires Etrangères affirmait exlure des débats toute concession sur les OGM. Au même moment, 17 pays de l’Union Européenne adoptaient un moratoire sur les cultures transgéniques.

Dix-sept pays européens, dont la France, l’Allemagne, l’Italie, la Pologne, mais pas l’Espagne, viennent d’annoncer que la culture des OGM serait désormais interdite sur leur territoire. Seule la recherche fondamentale reste autorisée, mais qui investira dans la science dès l’instant où son application serait prohibée ? Il est rare qu’un continent entier s’exclue volontairement de l’avenir. Imaginez l’Allemagne bannir l’imprimerie au XVe siècle ou les Etats-Unis, l’automobile au début du XXe siècle. La comparaison n’est pas excessive, puisque les OGM constituent la toute première phase d’une révolution scientifique qui a commencé il y a trente ans, en Europe et aux Etats-Unis : elle permet aux agriculteurs d’accompagner la demande exponentielle d’alimentation dans le monde, en particulier dans les économies émergentes. L’OGM, pour le décrire simplement, est une semence, de blé ou de soja le plus souvent, dans laquelle est introduit un gène qui tue les insectes ravageurs des récoltes. A défaut d’OGM, les exploitants doivent inonder leurs cultures d’insecticides pour maintenir les rendements. Les ennemis des OGM ont donc choisi la chimie d’hier contre la biotechnologie de demain. Cette étrange coalition des ignorants en Europe compte des alliés tout aussi inattendus hors d’Europe : la Russie, par exemple, parce que nul ne sait y produire des OGM et le Zimbabwe où le Président Mugabe a récemment déclaré que les Américains devenaient impuissants dès l’âge de 24 ans, en raison de leur consommation excessive d’OGM.

Ce refus des OGM, une option entièrement idéologique, n’obéit à aucun critère scientifique : depuis trente ans que les cultures d’OGM sont répandues, à peu près cent pour cent du soja et du maïs dans les deux Amérique, et s’en rapprochant vite la Chine et l’Inde, les OGM n’ont jamais causé le moindre accident de santé ni affecté la nature. La biodiversité chère aux écologistes n’est en rien affaiblie. Ni les animaux ni les hommes ne consomment d’OGM en tant que tels, puisqu’il ne s’agit que d’un procédé d’élimination des insectes : les seules victimes sont les chenilles. Les insecticides, en revanche, provoquent des dégâts irréductibles dans la nature et sur la santé.

La décision de ces gouvernements européens est donc dictée par le lobby le plus obscurantiste chez les écologistes. Cette secte place la Nature immuable au-dessus des besoins de l’humanité : elle est marginale en politique, mais suffisamment décisive et vociférante pour faire basculer une élection et assiéger les médias. Pour cette secte écologique, les OGM sont d’autant plus haïssables qu’ils sont commercialisés par des entreprises capitalistes et souvent américaines, Monsanto en tête. C’est oublier que cette domination américaine est, en partie, le résultat de la fuite des cerveaux des biologistes européens agressés par les écologistes, y compris par la destruction physique de champs et de laboratoires d’OGM .

A la veulerie des gouvernements s’ajoute l’hypocrisie, puisque l’Europe importe trente millions de tonnes par an de soja et de maïs OGM d’Amérique du Nord, du Brésil et d’Argentine pour nourrir le bétail et alimenter l’industrie de la conserverie. Les OGM bannis de nos champs pour “préserver l’image verte de notre pays”, comme l’a déclaré le Premier ministre écossais, sont partout dans nos assiettes. Un cynisme cocasse s’il n’était annonciateur d’un obscurantisme plus généralisé. Ainsi Jean-Claude Juncker, Président de la Commission européenne, vient-il de licencier son conseiller scientifique, Anne Glover, cédant à la pression des lobbies écologistes, parce qu’elle était favorable aux OGM. Or l’ensemble de la communauté scientifique est favorable aux OGM ! Juncker a trouvé la solution : le conseiller scientifique ne sera  pas remplacé du tout !

Ces gouvernements européens, la coalition des “ignorants” qui rejettent le consensus scientifique en agronomie, nous imposent paradoxalement, au nom de la science, l’hypothèse du réchauffement climatique par le dioxyde de carbone. En vérité, la climatologie est une science moins exacte et moins vérifiable que la biologie et l’agronomie : le consensus qui est réel sur les bienfaits des OGM ne l’est pas du tout sur le rôle déterminant ou non du dioxyde de carbone  L’obscurantisme est à géométrie variable, dicté par des sectes, mais aussi par des intérêts industriels. La France, par exemple, milite en tête contre la production d’énergie au charbon qui réchaufferait le climat, parce qu’elle vend des centrales nucléaires qui ne le réchaufferaient pas.

Nous voici ramenés au temps de Galilée, quand la théologie entrait en conflit avec la connaissance. Galilée fut condamné, ce qui – déclara-t-il – n’empêcha pas la Terre de continuer à tourner. Eh bien, en Europe, la coalition des ignorants aura beau bannir les OGM, la biotechnologie continuera, mais ailleurs. Tant pis pour la recherche, l’industrie et l’emploi sur notre continent. Il est fort à parier, quelles que soient les résolutions du prochain sommet de Paris sur le climat, que le climat continuera à changer, comme la Terre à tourner. Le climat change par définition. S’il existe des causes industrielles à ce changement, nous continuerons à les ignorer, puisque la coalition des ignorants (une expression que j’emprunte à un Professeur de Cornell, Marc Lynas) bannit toute recherche qui ne serait pas politiquement correcte.