La disgrâce du conseiller culturel : les vraies raisons de l’éviction d’Antonin Baudry à la présidence des Instituts français

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EDITO. De 2011 à 2015, Antonin Baudry, diplomate de carrière, fut le scintillant conseiller culturel de l’ambassade de France aux Etats-Unis. Doué en tout, ingénieur des Ponts, scénariste d’une célèbre Bande dessinée Quai d’Orsay, adaptée à l’écran par Bertrand Tavernier, Baudry séduit autant qu’il dérange : trop d’aisance peut-être, pas assez de labeur. Les services culturels qu’il dirige, une fois les salaires de ses fonctionnaires payés, ont peu de ressources disponibles pour mener des actions culturelles ou éducatives. Baudry coupe les subventions des institutions universitaires qui se battent depuis 50 ans pour faire entendre la voix de la France aux Etats-Unis : il contourne l’obstacle financier en apposant sa signature partout, en inaugurant tout.

Peu importe, son élégance et son enthousiasme lui rallient de nombreux soutiens. Mais voilà : ces services culturels français devraient logiquement être logés à l’ambassade à Washington où des bureaux vides les attendent depuis des années. Pour des raisons historiques, ces services furent initialement créés à New York, dans un  hôtel particulier situé sur la Cinquième Avenue, face au Metropolitan Museum. Antonin Baudry, pas plus que ses prédécesseurs, ne souhaite partir pour Washington ; ses collaborateurs non plus. Il se trouve que le ministère des Finances demande, depuis plusieurs années, la vente de ce palais (évalué à 32,5 millions de dollars), dont l’utilité est discutable : les fonctionnaires du service y sont installés mais les événements culturels sont plutôt rares. En 2014, le logement de fonction du représentant de la France à l’ONU, sur Park Avenue est vendu 70 millions de dollars, suivi de l’immeuble où logeaient les fonctionnaires des services culturels, sur la Cinquième Avenue. Antonin Baudry riposte en créant une librairie française dans les locaux des services culturels et prend les devants, une manière de ne pas en être expulsé. Faute de ressources, il en appelle avec succès à des mécènes américains et à des entreprises françaises, de celles qui n’osent pas dire non au représentant de l’Etat.

Mais l’Etat a-t-il légalement le droit de gérer une librairie ? Une inspection récente du ministère des Affaires étrangères soulève la question, mettant en cause la validité juridique de l’opération. Le Ministre Laurent Fabius a inauguré  en personne cette librairie, ce qui paralyse pour un temps  les interrogations juridiques et financières. Le Ministre repère aussi Baudry, si talentueux pour lever des fonds privés quand l’Etat est défaillant. Ce pourquoi il le nomme Président du Conseil d’administration de l’Institut français, à Paris ; Baudry doté en prime du titre “d’ambassadeur à la Culture” se déclare urbi et orbi, pour faire court, Président de l’Institut et ambassadeur, ce qui agace les ambassadeurs chevronnés. C’est à ce seuil que les ennuis de Baudry commencent. Cet Institut français – à ne pas confondre avec les cinq Académies qui constituent l’Institut de France – n’est en vérité qu’une modeste association jusque-là présidée par Xavier Darcos, écrivain, ancien ministre de l’Education et membre de l’Académie française. Darcos décide de ne céder que la moitié de ses fonctions antérieures en conservant la promotion de la langue, ce dont Baudry est privé.

Cet Institut n’a donc plus pour fonction que de lever des fonds privés pour assister tous les autres Instituts répartis dans le monde et tenter de créer des événements culturels majeurs, comme l’année France-Corée, l’année prochaine : Baudry découvre que la fonction qui lui a été confiée est avant tout celle de fundraiser (leveur de fonds) en chef dans un pays, la France, qui n’a pas la tradition philanthropique des Etats-Unis. En guise de consolation, le ministre lui octroie une rémunération élevée (par des primes), ce qui provoque illico une grève du personnel de l’Institut. Antonin Baudry, pour s’imposer, convoque à Paris en avril, une assemblée mondiale de tous les directeurs d’Instituts : l’accueil fut mitigé. Les directeurs, plus expérimentés pour la plupart d’entre eux, jugent le nouveau Président un peu léger. Le charme de Baudry n’opère plus. Là-dessus, Laurent Fabius lui demande d’ajouter le tourisme à sa mission. Fabius est pour une “diplomatie économique”, “le tourisme rapporte beaucoup à la France, la culture beaucoup moins”. Baudry veut bien être ambassadeur à la culture, mais pas au tourisme : il dit non à un ministre qui apprécie peu la contradiction. Baudry est remercié sur le champ, sans qu’aucun autre poste ne lui soit proposé : le communiqué du Quai d’Orsay est d’un ton peu diplomatique et même d’une brutalité inhabituelle, reflétant l’irritation du Prince.

Baudry laisse entendre qu’il se consacrera à des “projets personnels”. Nul ne le croit, mais à terme, il y parviendra. Il pourrait, pour commencer, produire une nouvelle bande dessinée sur les mœurs de la Cour : élevé par le Prince, il est déchu par le Prince. Un diplomate traditionnel, Denis Pietton, l’a remplacé. Tandis qu’aux Etats-Unis, le débat continue sur la localisation du Conseiller culturel, (New York ou Washington ?), le successeur de Baudry, Bénédicte de Montlaur, ne juge pas opportun non plus de partir pour Washington, mais le Palais de l’Institut reste menacé de vente. Au surplus, le bâtiment exige de lourds travaux que le ministère ne peut pas financer. Lorsque Baudry inaugura la librairie qui s’y trouve, il fit observer que les meubles étaient sur roulettes, le décor mobile, les bibliothèques démontables donc revendables. Cette librairie s’appelle Albertine, un hommage rendu par Baudry à Marcel Proust ; mais le livre de Proust s’appelle Albertine disparue… Un  pressentiment ? Souhaitons que si le lieu n’est pas idéal, comme le disait Antonin, une librairie ça se déplace…