Avec ses tables nappées de blanc, ses chandelles et ses chansons françaises qui jouent en boucle, La Ripaille ressemble à un nième bistrot français à New York. Mais le restaurant, pratiquement inchangé depuis son ouverture en 1980, est le fier aïeul des brasseries qui ouvrent aujourd’hui, encouragées par l’engouement pour les « French bistros » aux Etats-Unis. L’honorable adresse participera pour la première fois cette année à la French Restaurant Week de New York, du 3 au 16 juillet.
La Ripaille se trouve dans une rue ombragée de Greenwich Village, un quartier qui s’est considérablement développé depuis que le restaurant a ouvert ses portes il y a trente-sept ans. A l’intérieur toutefois, certains visages et certains éléments du menu, comme les escargots et la mousse de brocoli, semblent suspendus dans le temps. Lorsqu’Alain Laurent et son frère ont ouvert ce bistrot sur Hudson Street, le quartier était encore un foyer du trafic de drogues et de la prostitution. Les bistrots français avaient alors le vent en poupe et les deux frères ont saisi cette occasion pour faire découvrir aux Américains les plats traditionnels de leur pays natal. Les deux frères ont ajouté à l’endroit une note d’intimité en recrutant leurs petites amies pour travailler en cuisine.
A leurs débuts, les quatre amis ont dû travailler très dur pour survivre. Alain Laurent achetait ses ingrédients sur les marchés du West Village, établissant petit à petit la relation qu’il a aujourd’hui avec ses fournisseurs. Formé dans les restaurants français classiques de New York, le chef cuisinier né à Metz et sa petite amie ont élaboré le menu et créé « une atmosphère française » encore présente aujourd’hui. Alain Laurent affirme que sa mousse au brocoli, préparée dans une sauce au beurre citronné, est l’un des plats les plus populaires de son bistrot ; il insiste pour que tous les chefs cuisiniers qui passent par sa cuisine gardent le plat au menu. Les escargots, un autre plat traditionnel, sont « quelque peu différents du style habituel » : ils sont préparés avec du basilic, des tomates et un peu de crème. En proposant les plats populaires ainsi que des spécialités modernes évoluant au gré des produits du marché et des saisons, La Ripaille s’adapte à l’évolution des goûts tout en illustrant l’histoire qui lui a permis de maintenir sa popularité jusqu’à présent.
Alain Laurent est maintenant seul aux fourneaux. Boutiques de luxe et échoppes artisanales ont pris la place des bars et des vieux night-clubs du quartier. Pendant ce temps, la popularité des bistrots français a connu des hauts et des bas. De nombreux restaurants contemporains de La Ripaille ont fermé leurs portes et récemment, des établissements plus chics et plus branchés ont pris leur place. Les bons petits plats, le service de qualité et les prix raisonnables que pratique Alain Laurent expliquent la longévité de son restaurant. Il est aussi probable que La Ripaille maintienne sa réputation grâce aux efforts constants de son propriétaire, présent « sept jours sur sept et seize heures par jour ». Cela dit, soupire-t-il, il est de plus en plus difficile pour un petit bistrot de survivre. Les restaurants français les plus récents sont souvent soutenus par de grands groupes, ce qui rend la concurrence plus ardue.
Malgré ces défis, La Ripaille occupe dans l’histoire locale une place que nombre de jeunes restaurants mettront des années à acquérir. En témoigne un épais cahier relié de cuir, ouvert à l’entrée du bistrot. Chaque page porte la signature de clients célèbres venus dîner chez Alain Laurent. Entre une photo de Pelé et les signatures de Johnny Depp et de Derek Jeter, Norman Mailer évoque « le plaisir de s’être retrouvé à Paris, juste ici sur Hudson Street » et Marion Cotillard salue l’accueil chaleureux. Le restaurateur tourne fièrement les pages de son livre, énumérant les noms de ses clients et leur profession. Il se souvient de tous ses habitués depuis 1980. Quand on lui demande s’il pense un jour se défaire de son restaurant, le chef cuisinier de soixante-sept ans répond qu’il se soucie des personnes qui viennent dîner chez lui. Il cite l’exemple récent d’un client qu’il n’avait pas revu depuis dix ans. « Il venait ici il y a des années, mais il avait déménagé. Il se demandait si j’allais le reconnaître », ajoute-t-il avec un sourire en coin. « Je l’ai reconnu dès qu’il est entré ! »
La Ripaille
605 Hudson Street
New York, NY 10014
(212) 255-4406
www.laripailleny.com