En mai 1684, le roi Louis XIV autorisait son “cher et bien aimé Robert Cavelier sieur de la Salle” à partir coloniser l’embouchure du Mississippi. Le but de cette manœuvre : utiliser cette base pour attaquer les Espagnols installés en Floride et au Mexique, afin de mettre la main sur les mines d’argent mexicaines. Confiant, ce grand explorateur qui avait déjà descendu, pour le première fois, le Mississippi jusqu’au Golfe du Mexique deux ans plus tôt, remettait le cap vers l’Amérique.
Partie de La Rochelle avec 280 personnes à bord de quatre vaisseaux, cette nouvelle expédition tournera au fiasco, comme le raconte un des seuls rescapés du drame, son ami Henri Joutel : Cavelier de La Salle ne retrouvera jamais l’embouchure du Mississippi et mourra assassiné par un membre de son équipage.
Au premier plan de sa triste équipée se trouve La Belle, le seul des trois navires de l’expédition arrivé dans le golfe à résister, après que L’Aimable aura sombré et que le dernier, Le Joli, l’aura abandonné pour rentrer en France. Mais alors que Cavelier tente de rejoindre par la terre le Mississippi, La Belle s’échoue à son tour dans la baie de Matagorda, et coule, comme l’ont fait avant elle des milliers de navires sur les bancs de sable des côtes américaines, de la Virginie au Texas.
Cet accident éveilla l’intérêt des chasseurs d’épaves, d’autant qu’une carte de 1689 dressée par les Espagnols signalait assez précisément l’emplacement du navire naufragé, le “Navio quebrado”, un emplacement que ceux-ci chercheront évidemment à garder secret, de peur de voir d’autres Français empiéter sur leur domaine.
Une incroyable découverte archéologique
Trois siècles plus tard, en 1995, miracle, La Belle est retrouvée par trois mètres de fond dans la baie de Matagorda (ou de Saint Bernard), au large des côtes du Texas. Pour remonter l’épave de 310 ans, la Texas Historical Commission ne lésine pas sur les moyens. On commence par l’envelopper d’un double coffrage métallique, quasi étanche et recouvert d’une toiture, puis on pompe les trois mètres d’eau qui recouvrent l’épave, pour permettre d’évacuer la boue qui l’enchâsse ; une boue qui l’a fort heureusement protégée de l’oxygène et donc de la destruction, non seulement une partie de la coque, les canons du navire, les armes et les outils de l’équipage, mais aussi les centaines de milliers d’objets de troc que La Belle contenait, rangés dans des coffres ou des tonneaux : haches, couteaux, aiguilles, tissus… de quoi commercer avec les locaux.
La partie inférieure de la coque est en assez bon état. Mais le bois sera traité immédiatement pour éviter qu’il ne tombe en poussière. On démonte la coque pour la transporter sur plus de 150 kilomètres, à la Texas A&M University, où elle est remontée dans une immense cuve emplie d’abord d’eau douce, puis d’une solution qui la durcit, et enfin dans un bac de dessiccation au froid. Près d’un million d’autres pièces, de cuir, de métal, de céramique ou encore de cordages et de textiles, seront traitées et débarrassées de leur gangue. Un squelette humain presqu’intact est aussi retrouvé à bord et sera enterré en 2004 dans le Texas State Cemetery à Austin, tandis qu’une plaque y raconte sa malheureuse histoire, l’homme étant probablement mort de faim ou de soif, incapable de rejoindre la côte.
Un accord franco-américain
La Belle, du moins ce qu’il reste de sa coque, remontée pièce par pièce, figure depuis fin 2014 en bonne place au Bob Bullock Texas State Museum à Austin, au Texas, et un consortium de sept autres musées, proches de la baie de Matagorda, se partagent les objets de ce naufrage. Mais il aura d’abord fallu résoudre un problème épineux : déterminer à qui appartenait La Belle et ses trésors. Un accord entre la France et les Etats-Unis fut trouvé et signe à Washington le 31 mars 2003, afin que La Belle reste française. En contrepartie, la France a accepté de la prêter aux Etats-Unis, et plus particulièrement au Texas, pour une période de 99 ans reconductibles. De quoi satisfaire pour longtemps encore les amateurs d’histoire.
Pour se procurer le livre Petite(s) Histoire(s) des Français d’Amérique au prix de $25, frais d’envoi inclus, contacter directement Jacques Bodelle par email à cette adresse : jacques.bodelle@comcast.net