Un jihadiste européen qui entre comme un touriste aux Etats-Unis et commet un attentat : c’est la hantise de certains élus américains, qui souhaitent réformer l’exemption de visa accordée à plus d’une trentaine de pays, dont la France.
La possibilité de laisser les ressortissants de 38 pays entrer sans visa aux Etats-Unis est le “talon d’Achille de l’Amérique”, a estimé par exemple l’influente sénatrice démocrate Diane Feinstein, quelques jours après l’attaque contre Charlie Hebdo. L’ancienne présidente de la commission du Renseignement du Sénat prépare une proposition de loi pour renforcer les mesures de sécurité liées aux exemptions de visa, qu’elle espère présenter bientôt, selon son entourage.
D’autres parlementaires ont l’exemption de visa dans le collimateur, comme la représentante républicaine Candice Miller, qui propose notamment d’autoriser le Département de la Sécurité intérieure (DHS) à suspendre si nécessaire l’entréesans visa pour un pays donné. Les statistiques sur les jihadistes occidentaux − 3000 à 5 000 Européens seraient partis combattre en Irak ou en Syrie, selon les estimations −, tout comme le profil des assaillants de Charlie Hebdo (des extrémistes de nationalité française) réveillent des souvenirs glaçants pour les Américains.
Celui de Zacharias Moussaoui, surnommé parfois le 20e pirate du 11-Septembre: un Français entré aux Etats-Unis en 2001 sur simple présentation de son passeport. Ou de Richard Reid, le Britannique qui en décembre 2001 avait tenté de faire sauter un avion à destination des Etats-Unis avec des chaussures piégées.
Pourtant, les Etats-Unis ont complètement réformé leurs procédures d’entrée sans visa depuis cette époque, introduisant notamment en 2008 l’Esta, autorisation électronique de voyage que chaque candidat souhaitant se rendre aux Etats-Unis doit remplir en ligne avant son départ. Une amélioration considérable, qui donne aux services de sécurité américains la possibilité de voir à l’avance qui veut pénétrer sur le territoire, “et non plus deux heures avant”, souligne Christian Beckner, spécialiste des questions de sécurité intérieure à la George Washington University.
Des accords non mis en œuvre
Jeudi, le ministre de la Sécurité intérieure, Jeh Johnson, a souligné que ce serait “une erreur” de remettre en cause l’exemption de visa. Mais il a concédé qu’il y avait des “moyens d’améliorer la sécurité du programme”. “Nous exhortons nos alliés en Europe et ailleurs à maintenir et partager les informations de voyage concernant les individus” suspects, a ajouté le ministre.
Certains responsables américains ne sont en effet pas satisfaits du fonctionnement des accords d’échange de renseignement et d’informations sur les personnes suspectes, qui sont en principe signés avec chaque pays bénéficiaire de l’exemption de visa. Les Etats-Unis “n’obtiennent pas de manière fluide les informations cruciales dont ils ont besoin”, dénonçait ainsi Candice Miller en janvier. Il faut arriver à “mettre en oeuvre complètement les accords de partage de renseignement” et “étendre le champ de ces accords”, fait valoir de son côté Nathan A. Sales, professeur de droit à l’université de Syracuse.
Selon un rapport officiel du GAO (équivalent américain de la Cour des comptes), en 2012, seule la moitié des pays bénéficiaires de dispenses de visa”respectait complètement” les accords de partage de renseignement. Et “beaucoup des accords signés n’étaient pas mis en place” en réalité, ajoutait le rapport. Pour tenter de renforcer ses capacités de filtrage, le DHS a rallongé la liste des questions posées par l’Esta. Depuis novembre, le formulaire demande par exemple le nom du père et de la mère du demandeur, ses éventuels pseudonymes et ses contacts aux Etats-Unis.
De nombreux experts estiment que l’exemption de visa est de toute façon nécessaire du point de vue financier, du fait du nombre de visiteurs concerné, et du poids économique des pays partenaires. En 2012, 19,1 millions de personnes sont entrées aux Etats-Unis en bénéficiant du régime sans visa, soit à peu près 40% des entrées totales pour séjour temporaire.
Les 38 pays concernés sont la plupart des pays européens dont la France, et des grands alliés des Etats-Unis comme le Japon, la Corée du Sud, l’Australie ou le Chili. Selon les Douanes américaines, 4 300 autorisations de voyage Esta ont été refusées depuis 2008 parce que le candidat figurait sur une liste noire de personnes suspectes. Sur la même période, 22 500 autorisations ont été refusées, parce que le candidat utilisait un passeport déclaré comme volé.