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Michel Bastid, chef de cuisine fraîchement nommé à l’ambassade de France à Washington, a à peine eu le temps de poser ses valises qu’il a eu droit à son baptême du feu : le dîner annuel Goût de France, qui se tient début mars dans les ambassades françaises à travers le monde, fêtant l’excellence de la gastronomie française dans un pays cerné par les fast-foods.

Avec ses deux seconds (dont un Britannique !), Bastid s’est mis au travail dans la cuisine dernier cri située au sous-sol de la résidence pour composer un menu mémorable afin de régaler la centaine de convives, pour l’essentiel des critiques gastronomiques, mais aussi d’autres invités, comme le conseiller spécial en nutrition de la Maison Blanche. Au menu : légumes de saison aux truffes d’hiver et chips de jambon de Bayonne, lotte cuite à basse température et parfumée au pollen de fenouil avec sa sauce armoricaine, pomme Ariane et gâteau onctueux au chocolat Guanaja, saint-nectaire avec pain toasté aux noix et raisins.

Pour ce chef de cuisine âgé de trente-cinq ans—dont le parcours comprend des années passées chez Régis Marcon à l’Auberge La Coulemelle (trois étoiles au guide Michelin) à Saint-Bonnet-le-Froid en Auvergne, et un détour au service de Michel Troigros à Roanne—, la routine c’est ce flux aussi exigeant qu’incessant de petits-déjeuners, déjeuners, dîners et banquets qui constituent le quotidien de la résidence d’une ambassade de premier plan.

La semaine du 15 mai a été relativement calme pour Michel Bastid. Mardi, l’ambassadeur Gérard Araud a accueilli, en l’honneur d’un sénateur américain, quarante-cinq personnes pour un dîner autour de l’élégante table d’une dizaine de mètres dans la vaste salle à manger de la résidence ; deux jours plus tard, c’était un dîner pour les trente-cinq membres du chapitre de Washington des Chevaliers du Tastevin, et samedi, autre dîner en tenue de soirée pour quarante-cinq invités de marque, avant le bal de charité annuel de l’Opéra de la ville. Par tradition, plusieurs ambassadeurs étrangers invitent dans leur résidence respective les principaux mécènes de l’opéra avant de se rendre au bal—un grand dîner donné à tour de rôle qui, en 2016, a été servi dans la salle de réception du siège de l’Organisation des Etats américains.

S’il travaillait encore dans un restaurant, le chef Michel aurait sans doute servi beaucoup plus de clients que les 120 invités de l’ambassade cette semaine-là, mais comme il le fait remarquer : “il n’y aurait eu qu’un seul menu pour toute la semaine ; ici, le menu proposé est chaque fois différent.” Et contrairement aux chefs officiant dans un restaurant, il ne se constitue pas une clientèle, mais reste—comme il le précise lui-même—”une figure de l’ombre”.

“Poissons grillés, salades et fruits frais”

Le chef de cuisine d’une ambassade doit satisfaire les goûts d’une seule personne, en l’occurrence ceux de l’ambassadeur Gérard Araud. Le chef Bastid possède un avantage : il est originaire de la même région que l’ambassadeur et partage son goût d’une cuisine méditerranéenne simple et fraîche. M. vient de Marseille ; Michel Bastid est né à Narbonne, dans le sud-ouest, mais il a fait ses classes chez le célèbre chef marseillais, Michel Portos.

L’ambassadeur est mince, athlétique et élégant, et il entend naturellement le rester. “L’ambassadeur apprécie les menus légers et équilibrés”, déclare le chef. “Il aime les poissons grillés, les salades, les fruits frais. Je cuisine à l’huile d’olive et au citron ; je n’utilise que rarement de crème fraîche.” A titre personnel, Bastid préfère la viande qui, selon lui, est de très bonne qualité aux Etats-Unis, tout comme le poisson. Mais il a des soucis avec les fruits et légumes qui ici, dit-il, ont tendance à être récoltés trop tôt et arrivent sur les marchés avant leur pleine maturité.

Pour le chef, en poste depuis quatre mois, cette nouvelle fonction en ambassade a quelque chose d’un apprentissage. “Par exemple”, explique-t-il, “les invités américains n’aiment pas la viande saignante comme c’est le cas en France. Ils la préfèrent à point.” Avant chaque événement, il est briefé sur les éventuels interdits alimentaire des convives, souvent végétariens, et il doit en tenir compte. Pour les grandes réceptions—jusqu’à cent personnes—il a dû composer un large assortiment de hors-d’œuvres, un exercice quelque peu inédit pour un grand chef.

Autre nouveauté : la durée de sa journée de travail. En général, Michel Bastid est dans sa cuisine à six heures du matin pour préparer le petit-déjeuner, l’ambassadeur peut-être seul ou recevoir—parfois deux petits-déjeuners à la suite si l’ambassade accueille deux groupes différents. Ensuite, avec ses deux seconds, et bientôt aidé de son épouse Mélanie qui est également chef, il s’attèle au déjeuner. Après une pause l’après-midi, l’équipe prépare le dîner. Bastid peut profiter de presque tous ses week-ends, mais seulement après avoir cuisiné à l’avance les repas de l’ambassadeur.

Un contrat de trois ans

L’UNESCO a récemment ajouté la gastronomie française à sa liste du “Patrimoine culturel immatériel de l’Humanité”, et Bastid se fait fort d’être à la hauteur de cette distinction. En réalité, la plupart des ambassades font un effort pour maintenir l’excellence de la table de l’ambassadeur, offrant un mélange de plats nationaux et de cuisine occidentale (l’ambassade japonaise, par exemple, a deux chefs, un pour la gastronomie japonaise et l’autre pour l’occidentale). De fait, la diplomatie culinaire est une vieille tradition. Talleyrand se rendit au Congrès de Vienne de 1814-15 avec son chef Marie-Antoine Carême. Aujourd’hui encore, nombre d’ambassadeurs étrangers arrivent à Washington pour prendre leur fonction accompagnés de leur chef attitré. Le Secrétaire d’Etat John Kerry ayant récemment déclaré que les négociations diplomatiques se passaient mieux après un bon repas, il est tentant de dépeindre un ambassadeur (en réécrivant la vieille définition) comme un officiel envoyé à l’étranger afin de manger au nom de son pays.

Michel Bastid a été embauché à Paris pour un contrat de trois ans renouvelable un an. Après, il pourra être affecté dans une autre ambassade française. Mais si le passé devait se répéter, il pourrait aussi bien, comme nombre de ses prédécesseurs, prendre racine en Amérique. Le paysage florissant des restaurants de Washington regorge d’anciens chefs de cuisine de l’ambassade de France qui, depuis des décennies, ont ouvert (et dans certains cas fermé) des établissements dans la capitale. Le légendaire Claude Bouchet était chef au Jockey Club, point de ralliement de la bonne société, où la Première Dame Nancy Reagan déjeunait régulièrement. L’établissement a fermé en 2001. Alain Roussel a œuvré au restaurant La Ferme, à Chevy Chase dans la banlieue de Washington, pendant trente ans ; Gabriel Aubouin, qui a quitté les cuisines de l’ambassade en 1974, a ouvert La Brasserie, fameux lieu de rendez-vous des hommes politiques sur Capitoll Hill depuis une trentaine d’années. “Je voulais rester à Washington où les opportunités d’ouvrir un établissement étaient plus grandes et plus excitantes qu’en France”, a expliqué Aubouin. L’exemple le plus récent est celui de Francis Layrle, qui a d’abord officié comme chef du Bezu à Potomac : après que cet établissement a récemment fermé ses portes, il est allé exercer son art dans le nord-ouest de Washington en ouvrant La Piquette.

La Maison Blanche (où le chef de cuisine est la Philippino-Américaine Cristeta Comerford, première femme à occuper ce poste) a aussi eu son lot de chefs français par le passé, mais qui ne venaient pas de l’ambassade. Le premier—sans surprise—cuisinait pour le francophile Thomas Jefferson. Plus près de nous, René Verdon a été embauché—de manière tout aussi prévisible—par une autre francophile, Jacqueline Kennedy. Sans oublier Pierre Chambrin, qui a cuisiné pour les Clinton de 1992 à 1994. Verdon démissionna à la suite d’un désaccord sur les menus avec le Président Lyndon Johnson, qui le remplaça par le cuisinier texan de la famille Johnson. Là encore, rien de surprenant. Chambrin, quant à lui, jeta l’éponge en 1994 après avoir refusé de préparer des repas plus diététiques lorsque Clinton devint soudain soucieux de sa silhouette.

Article publié dans le numéro de juin 2016 de France-Amérique.

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