Selon les premières estimations, le parti La République en marche du président Emmanuel Macron contrôlera plus de soixante-dix pour cent de l’Assemblée nationale. Un cas de domination politique historiquement français.
Le macronisme est l’avatar d’une passion française : le despotisme éclairé, de Bonaparte à De Gaulle, la quête du Sauveur. Les origines sont anciennes. On pense à Voltaire. Dans l’esprit des Lumières, il se méfiait du peuple et n’envisageait de remplacer la monarchie absolue que par un roi philosophe. Son modèle, mythique évidemment, était l’empereur de Chine qu’il supposait sage, entouré d’une administration mandarinale supposée lettrée et recrutée sur son mérite : nos futurs énarques. Il y avait bien Montesquieu qui se méfiait de toute autorité et devait formaliser le principe de séparation des pouvoirs. Mais Montesquieu fut exporté aux Etats-Unis, leur Constitution de 1789, immuable, en témoigne. Tandis que nous, Français, héritions de la Convention, tous pouvoirs confondus.
Le scepticisme démocratique et l’indifférence à la concentration des pouvoirs sont les marqueurs de notre histoire longue : loin de s’en inquiéter, le peuple et les commentateurs se réjouissent de l’unité de la décision politique. Comme si celle-ci était garantie d’efficacité heureuse. Napoléon et le code civil, n’est-ce pas ? Mais aussi Napoléon et la guerre perpétuelle. De Gaulle et la décolonisation. Mais aussi Mai 68, comme témoignage de l’incapacité gaulliste à épouser son temps. Lorsque, chez nous, les pouvoirs se distinguent, plutôt par hasard que par la Constitution, on hurle au gouvernement des juges ; et quand cohabitent un président et un Parlement, d’appartenances distinctes, on regrette cette atteinte à l’esprit despotique de la Ve République.
Emmanuel Macron, qui estime les Français monarchiques dans leur âme, hérite de cette histoire au bilan mitigé. Despote que l’on suppose éclairé, mais au fond nous n’en savons rien : les pleins pouvoirs de Macron lui permettraient — dit-on — de faire passer des réformes indispensables qu’un Parlement moins servile lui aurait refusées. Admettons ce raisonnement arithmétiquement exact, socialement désastreux : une réforme non négociée ne peut appeler qu’à la contre-réforme. Dans une nation divisée comme la nôtre, estimer que le despotisme est plus « efficace » que le consensus est une sottise ; le despotisme appelle la révolution, ce à quoi les Français sont portés en raison même de l’indivision des pouvoirs.
Montesquieu ou Bonaparte ?
Aux Etats-Unis, le Président le plus dysfonctionnel de l’histoire américaine ne parvient pas à imposer ses lubies, précisément parce que l’équilibre des pouvoirs le lui interdit. Pour la première fois en vraie grandeur, on vérifie que la Constitution américaine remplit sa fonction : organiser les pouvoirs et interdire l’autocratie. La justice américaine, vraiment indépendante, a bloqué les initiatives les plus xénophobes de Donald Trump ; l’indépendance absolue des médias, en révélant les turpitudes du clan Trump, contient ses transgressions ; les Etats garantissent la continuité des services publics. Imaginons un Trump jouissant d’institutions à la française ! Seule la rue pourrait s’y opposer.
Macron n’est pas Trump, sans doute pas Bonaparte et il est de son temps quand De Gaulle ne l’était pas toujours. Mais il faut imaginer un successeur périlleux, Mélenchon ou Le Pen, par exemple, bénéficiant des pleins pouvoirs que notre histoire octroie. On envisagera aussi que le despote éclairé au départ, cesse de l’être, parce qu’il vieillit, qu’il change, qu’il déçoit ou que le pouvoir le grise. Cela s’est vu. J’en conclus que la réforme du Code du travail peut être vitale ou la pérennisation de l’état d’urgence. Encore que cela reste à démontrer. Mais il serait tout aussi urgent de s’interroger sur nos institutions qui, depuis plusieurs dizaines d’années, interdisent que ce genre de décision soit adopté sereinement, sans qu’à chaque fois l’on ne frôle la guerre civile : la Ve République, réputée efficace, à l’épreuve de son histoire, c’est en réalité la paralysie tempérée par la révolte.
Ce n’est pas le peuple qu’il faut changer, mais nos institutions inadaptées au peuple, ce que Pierre Mendès France, en son temps, et François Mitterrand, avant qu’il ne soit élu, avaient justement observé : le présidentialisme français, forme légale du despotisme éclairé, est mal fait pour notre société fragmentée. Mieux vaudrait un Parlement réel où l’on négocie. Et un Parlement représentatif, ce que le nouveau ne sera pas : un tiers des suffrages, deux tiers des sièges. On m’opposera le spectre de la IVe République, cette légende gaulliste qui ignore la reconstruction de la France, la fondation de l’Union européenne, la décolonisation du Maroc et de la Tunisie, entre autres prouesses de ce régime soi-disant haïssable : le parlementarisme français compte à son actif plus de succès que le présidentialisme. Mais ceci n’est pas à l’ordre du jour, puisque le nouveau régime s’achemine vers plus de despotisme encore, avec recours au référendum et aux ordonnances, comme si une Assemblée couchée ne suffisait pas à ses ambitions. Mais il n’est pas interdit de prendre date, en espérant avoir tort.