La ministre française de la Santé a annoncé que la France était en retard par rapport aux Etats-Unis et que le cannabis médical pourrait bientôt être légalisé en France. Un mouvement nécessaire, selon le journaliste français Michel Henry, auteur du livre Drogues, pourquoi la légalisation est inévitable.
France-Amérique : Vous écriviez dès 2011 que “la légalisation est inévitable”. Comment êtes-vous parvenu à cette conclusion ?
Michel Henry : Ni la prohibition ni la répression ne sont efficaces. La France possède une législation très stricte — la consommation de cannabis est un délit passible d’une peine d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3 750 euros — mais reste le premier consommateur de cannabis en Europe. D’autres systèmes sont envisageables. La vague de légalisation qui a commencé aux Etats-Unis en 2012 prouve ma thèse : trente Etats et le District of Columbia autorisent aujourd’hui le cannabis à des fins médicales ou récréatives.
Les Américains sont souvent considérés frileux sur les questions de société. Ils sont pourtant en avance sur la France sur la question du cannabis…
Les Américains sont plus puritains que les Français, mais ils sont aussi plus pragmatiques. La culture, la distribution et la vente de marijuana représentent une importante ressource financière pour les entreprises privées et pour les Etats. Les collectivités locales ont compris qu’il y avait un marché à prendre. Les lobbys américains ont aussi joué un rôle prépondérant. Ethan Nadelmann, un ancien professeur de sciences politiques à Princeton, a fondé la Drug Policy Alliance, une ONG qui lutte pour mettre fin à la “guerre contre les drogues”. Nadelmann, le porte-parole du mouvement pour la légalisation du cannabis, a su convaincre d’importants mécène et politiciens. Ce type de lobby est inexistant en France.
Certaines associations luttent pourtant pour la légalisation du cannabis en France. Manquent-elles d’organisation ? De soutien politique ?
Les collectifs français NORML France et CIRC et le think tank Terra Nova sont actifs, mais ils manquent encore de poids. Plusieurs médecins dont Amine Benyamina, William Lowenstein et les membres de la Fédération Addiction interviennent de leur côté dans les médias, mais l’Académie de médecine continue d’ignorer leurs rapports. Aucune organisation ne coordonne le mouvement pro-cannabis en France comme c’est le cas aux Etats-Unis. Les politiciens, quant à eux, refusent de s’engager. Ils ont peur d’aliéner leur électorat en se prononçant pour la légalisation. En 2006, le Parti socialiste a évoqué une “régulation publique” du cannabis, c’est-à-dire contrôlée par l’Etat, mais ne l’a pas inscrite à son programme pour l’élection présidentielle en 2007. Emmanuel Macron lui-même évoquait l’intérêt éventuel d’une légalisation du cannabis en 2016 mais il prône désormais la “tolérance zéro”.
L’engouement récent pour le chanvre industriel (ou cannabis CBD), moins puissant mais légal, pourrait-il ouvrir la voie à la légalisation du cannabis médical ?
En raison de sa faible teneur en THC (moins de 0,2%, contre 20% pour les variétés de marijuana récréative), le chanvre n’est pas considéré comme un produit stupéfiant. Il provoque un effet relaxant que certaines personnes comparent aux anti-inflammatoires. Le cannabis CBD est en vente libre dans les magasins de cigarettes électroniques et dans certaines boutiques spécialisées. Le produit vendu en France est cultivé en Suisse, où une importante filière de production et de transformation s’est mise en place. Le département de la Creuse, qui cultive déjà du chanvre pour l’industrie textile et alimentaire, milite pour avoir aussi l’autorisation de cultiver du cannabis CBD. La législation sur le sujet reste floue : la culture du chanvre industriel n’est pas interdite, mais le gouvernement y songe.
Le système fédéral américain et la division du pays en Etats autonomes a facilité le mouvement de légalisation du cannabis. Comment le mouvement pourrait-il s’organiser en France ?
La France est un pays centralisé : toutes les questions de santé relèvent du gouvernement à Paris. Une initiative locale a donc peu de chance de réussir. Mais si les agriculteurs de la Creuse commencent à cultiver du cannabis CBD et reçoivent le soutien des syndicats agricoles, des élus locaux et des députés, le gouvernement ne pourra pas les ignorer. L’enjeu est de tolérer la culture du cannabis CBD. La tolérance pourrait servir de cheval de Troie à la légalisation du cannabis médical puis du cannabis récréatif.