Chroniqueur américain, John von Sothen vit à Paris où il couvre les sujets de société et la culture pour l’édition française de Vanity Fair. Il y a déménagé après avoir rencontré sa femme, Anaïs, dans un café de Brooklyn. Ils ont aujourd’hui deux enfants qui apparaissent, ainsi qu’Anaïs, dans son premier livre, Monsieur Médiocre, une lettre d’amour à la France — ses absurdités, son histoire et ses idéaux.
Ce recueil de chroniques drolatiques publié le 7 mai dernier est l’occasion pour von Sothen de nous faire découvrir la vie parisienne, la vraie, en démystifant nos rêveries sur la France. En plus de ses récits sur sa vie d’Américain à Paris, von Sothen fait souvent des « voix off » en anglais pour des marques françaises de parfums et de produits de luxe, et monte à l’occasion sur les planches pour du stand-up en français et en anglais lors de la New York Comedy Night au SoGymnase Comedy Club à Paris. Il est régulièrement invité par la station de radio Europe 1 pour parler de tout ce qui touche aux Etats-Unis.
France-Amérique : Qui est Monsieur Médiocre?
John von Sothen : Monsieur Médiocre est la personne que je suis devenue depuis mon installation en France. Sur le papier, je suis complètement français. J’ai épousé une aristocrate française. Nous habitons en plein cœur de Paris. Nos enfants sont élevés à la française. Nous avons rénové une maison de campagne française. Nous prenons de longues vacances en France. Mais tout cela ne s’est pas exactement passé comme je l’espérais, et je suis loin de vivre une vie de rêve française.
© Courtesy of Penguin Random House
Nous avons tendance à voir la France comme gardienne du temple du goût, de la sophistication et des bonnes manières, alors qu’en réalité, quand vous y vivez jour après jour, et que vous avez ôté vos lunettes teintées en rose, vous appréciez votre environnement pour d’autres raisons. Pour moi, la France n’est ni parfaite, ni inaccessible. Elle est étrange, compliquée, contradictoire et parfois même vulgaire — comme la vie au quotidien n’importe où ailleurs. Et c’est cette France que je veux célébrer. Pas celle, pittoresque, des clichés éculés, mais le quotidien banal d’une existence ordinaire, que les Français ont élevé — soit dit en passant — en un véritable art de vivre.
Certains Américains pensent que la plupart des Français sont des snobs qui n’aiment pas les Américains. Est-ce vrai ?
Non, et je n’ai pas tendance à verser dans l’apologie des Français. Je les trouve parfois défaitistes, cyniques et peut-être trop réservés à mon goût, mais pas snobs. Les Français sont un peuple fer, ce qui est différent du snobisme. Qu’un Français soit à peu près certain de ne pas dénicher un meilleur vin à New York ou à Cleveland qu’en Bourgogne n’en fait pas un snob. Il est juste réaliste. Je pense que les Américains sont parfois décontenancés par les Français parce qu’ils ne nous lèchent pas systématiquement les bottes. Ils peuvent aimer visiter les Etats-Unis et se rendre chez Target et Trader Joe’s. Mais ils ne sont pas dupes du rêve américain. Pas plus qu’ils ne voudraient un jour devenir américains. De nombreux Américains pourraient le prendre comme un affront. “Et pourquoi ne voudriez-vous pas venir vivre ici ? Quoi, nous ne sommes pas assez bien pour vous ?” Quand des Américains nous rendent visite à Paris, ils ne manquent jamais de remarquer à quel point les Français sont polis, leur indiquant la direction du Louvre et ne crachant pas dans leur assiette. Je pense qu’aujourd’hui, nous autres Américains accordons tellement d’importance à l’enthousiasme et à la politesse (et ce n’est bien souvent que du vent), que les échanges au quotidien, débarrassés de ces salamalecs, semblent plein de distance et de snobisme. Franchement, après trois semaines aux Etats-Unis, je n’en peux plus de remercier tout le monde et de saluer des étrangers en lançant des “génial !” à tout bout de champ. Je suis alors impatient de retrouver Paris et ses serveurs bourrus aux mines renfrognées, un endroit où tout le monde a le droit de rester dans son coin en tirant la tronche. Ça fait réellement du bien
Selon vous, qu’est-ce qui va le plus surprendre les lecteurs américains à propos des Français ?
Qu’ils prennent plus de vacances que nous. Ce que je savais. En revanche, je ne soupçonnais pas à quel point elles sont importantes pour eux. Les Français considèrent les congés comme un droit inaliénable et, à bien des égards, c’en est un. Les vacances sont souvent un sujet de conversation. “Où partez-vous à Pâques ?” “Et à Noël ?” C’est aussi le moyen de jauger les gens. Plus vos vacances sont chics, plus vous serez jalousé. Ce que j’ignorais également, c’est que tout le monde part pour de longues périodes à peu près aux mêmes dates, donc tout un pays cherche les mêmes locations de vacances au même moment ; vous devez vous organiser le plus tôt possible. Pour le ski en février, il faut réserver dès l’automne, pour les grandes vacances dès Noël, et pour ces dernières pendant l’été. Résultat : vous passez votre vie à faire des réservations et à payer. Et comme ce n’est pas donné d’être tout le temps en vacances, vous en partagez les frais, et les passez ainsi souvent avec des Français.
Après avoir épousé une Française rencontrée à New York, vous avez réalisé le rêve de votre mère en vous installant à Paris. Quinze ans plus tard, pensez-vous que le Paris de votre mère était en partie fantasmé ? Et si oui, dans quel sens ?
Mon plus grand fantasme (et je sais que ça peut sembler étrange) c’était d’imaginer que la France était, en quelque sorte, coupée du monde ; qu’elle était un écosystème à part, celui du bon goût et du raffnement, et qu’elle pouvait choisir ce que bon lui semblait du reste du monde, à la manière d’un formidable concept store. Un endroit réconciliant le meilleur des deux mondes : la bonne gastronomie et pas d’armes à feu, la mode et pas d’obèses, de longues vacances et pas de burn-out. De bonnes écoles sans prêts étudiants. La réalité, c’est que la France est beaucoup plus connectée au reste du monde que je ne l’imaginais, et qu’elle connaît donc les mêmes problèmes. Sa langue est truffée de formules en anglais inspirées de Snapchat. Ses magazines sont encore plus trash que ceux vendus outre-Atlantique. Y vivre peut s’avérer dangereux, même si ce n’est pas systématique. Ses villes sont plus sales. Les inégalités sociales sont abyssales. Les étudiants ont la tête sous l’eau. Mais la France comporte également certains avantages. Sa population est extrêmement diversifée. Le couscous est le plat le plus populaire de l’Hexagone. Et c’est précisément cette France que j’adore — celle qui ne cesse de me surprendre. Alors oui, fni le fantasme.
© Courtesy of Penguin Random House
Ironiquement, la personne qui fantasme le plus dans notre foyer, c’est ma flle ; elle a 16 ans et regarde la ville où j’habitais, New York, à peu près de la même façon dont je voyais Paris. Quand je lui souhaite bonne nuit le soir, elle n’arrête pas de me poser des questions sur le métro ou sur mes colocs, et où exactement je faisais mon jogging à Central Park, sans oublier quel Starbucks je fréquentais. Elle se fait un tableau grandiose de l’Amérique et de New York, un peu comme moi avec la France quand j’étais enfant. Peut-être que si elle y vit un jour, son fantasme se fracassera contre la réalité, et qu’elle tombera amoureuse d’autres choses.
Quel est le choc culturel qui vous a le plus marqué ?
Je dirais le formalisme, aussi subtil que suranné, qui a toujours cours en France. Je suis toujours surpris lorsque, débarquant dans une fête, je comprends que l’on attend de moi que je fasse la bise à tout le monde, et non que je salue l’assemblée d’un vague geste de la main. Cela peut durer quelques minutes. Et quand je prends congé, on attend de moi que je fasse mes adieux à chacun de la même manière, plutôt que de fler à l’anglaise. Par ailleurs, je n’ai pas encore trouvé l’ami à qui je pourrais envoyer un sms depuis le café en bas de chez lui pour lui proposer de descendre boire une bière dans la minute. Mes amis ont besoin de temps pour planifer les choses bien à l’avance et ils n’apprécient guère mon goût de l’improvisation. Parfois, il m’arrive de surprendre deux Français dont l’un demande à l’autre : “Est-ce que je peux vous tutoyer ?” Ça me fait marrer : comme si cela avait vraiment de l’importance. Le gars qui tond la pelouse de notre maison de campagne continue à me parler à la troisième personne (Est-il satisfait du travail de la semaine dernière ?), comme si j’étais une espèce de propriétaire terrien. Ma femme pense que je ne devrais pas taper dans le dos des gens que je connais à peine, pas plus que je ne devrais discuter de problèmes de santé avec des inconnus. Même mes mails sont trop informels. Je m’adresse à mon banquier par son prénom (Salut Jacques !) et je me suis même permis à une occasion de tutoyer la grand-mère d’Anaïs (la matriarche de la famille, âgée de 90 ans), et de lui tapoter dans le dos. Tout le monde était choqué, sauf la grand-mère, qui semblait ravie.
Se moquer des stéréotypes nationaux est devenu un genre en soi (on pense à Peter Mayle, Pamela Druckerman, Stephen Clarke). Quels écrivains s’inscrivant dans cette tradition, vous ont le plus inspiré ?
Ma femme ne supporte pas quand je dis les Français. Elle trouve cette formule aussi lourdingue que réductrice, car elle met tous ses compatriotes dans le même sac. Et elle précise : “Moi, par exemple, je ne me résume pas à une seule personne.” (Je ne suis pas sûr de bien comprendre ce qu’elle veut dire par là.) Je me suis donc intéressé aux auteurs qui sortent d’abord leur microscope pour ensuite mieux extrapoler. C’est pourquoi j’ai tant aimé A Year in Provence de Peter Mayle. Il a entrepris de disséquer sa vie et celle de son entourage et, à travers eux, il a pu tirer des considérations plus larges. J’ai découvert qu’après un travail de défrichage et une synthèse de recherches, on est en droit de dire les Français.
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Je suis fan d’un bouquin écrit dans les années 1950 que mon beau-père français m’a fait découvrir : Les Carnets du Major Thompson, un recueil d’observations sur les Français, écrites par un offcier britannique entre deux âges qui n’a pas sa langue dans sa poche. Ce qui m’a séduit c’est que le véritable auteur, Pierre Daninos, était français et qu’il a choisi de se moquer de ses compatriotes à travers un Anglais (qu’il affuble lui aussi d’un lot de stéréotypes). Ce procédé permet à Daninos de parler des Français. Preston Sturges en a tiré un flm dont le titre anglais est sans équivoque : The French, They Are a Funny Race. Que l’on pourrait traduire par : Les Français, quelle drôle de race !
Monsieur Mediocre: One American Learns the High Art of Being Everyday French de John von Sothen, Penguin Random House, 2019. 288 pages, 34 dollars.[:]