Contrairement à ce qu’affirme le gouverneur du Kentucky, le français et les mathématiques sont aussi importants l’un que l’autre. Chaque matière est utile à la formation de citoyens éclairés.
Matt Bevin, gouverneur républicain du Kentucky, a provoqué la colère des francophiles américains en déclarant que l’Etat ne financerait plus l’enseignement du français dans les universités publiques. Pour ce gouverneur, la littérature française semble incarner ce qu’il y a de plus inutile pour la réussite d’un bon Américain. A l’inverse, il soutient l’enseignement des sciences, de la technologie et des mathématiques qui, dans sa vision du monde, conduiraient seules à de vrais bons métiers. Ce faisant, il manifeste une grande ignorance : les meilleurs savants ont aussi une bonne culture générale. Et la France a le privilège de quelques-unes des meilleures écoles d’ingénieurs au monde. Ceci est connu, sauf de Matt Bevin.
Moins connue peut-être est la filiation du gouverneur. Il s’inscrit dans la longue tradition des Know Nothings du XIXe siècle, une secte puis un parti politique qui prêchait la sainte ignorance de l’abstraction et des idées générales. Donald Trump s’inscrit clairement dans cette généalogie politique. Celle-ci a concouru à une préférence américaine pour les enseignements techniques jusqu’au milieu du XXe siècle. En conséquence, les Etats-Unis ont longtemps souffert d’un déficit en recherche fondamentale qui, pour l’essentiel, fut et reste comblé par les immigrants. Si l’on considère l’exemple célèbre de la mise au point de la bombe atomique dite A, puis H, elle n’aurait jamais été possible sans l’apport des savants d’Europe centrale. Aujourd’hui, on sait combien les immigrants contribuent à la recherche dans les capitales de l’informatique, à Boston, à Austin et à Palo Alto.
L’esprit pratique que croit exalter Matt Bevin enfermerait les universités américaines dans la production d’ingénieurs et techniciens à la chaîne, mais l’Amérique y perdrait son avance scientifique. Je conseillerai à ce gouverneur et à ceux qui lui ressemblent de suivre quelques cours “inutiles” sur Flaubert et Proust ; cela ne pourrait que les aider à réfléchir.