France-Amérique : Qu’Allah bénisse la France est l’adaptation de votre roman autobiographique, paru en 2007. Pourquoi l’avoir porté à l’écran ?
Abd Al Malik : J’ai cette conviction : les grands romanciers du XIXe et du XXe siècle seraient aujourd’hui cinéastes. Le pouvoir de l’image est indéniable : adapter mon roman au cinéma, c’est élargir le public, toucher une partie de la population qui n’aurait pas eu connaissance de mon livre. Je souhaitais rendre cinématographique la matière littéraire. Le livre et le film se sont bien complétés.
C’est votre premier film. Avez-vous envie de poursuivre votre carrière de cinéaste ?
Oui. C’est une nouvelle phase de ma carrière qui s’ouvre, après celle d’artiste et d’écrivain. Je ne vais pas abandonner la musique, mais je ressens une véritable envie de me concentrer sur le cinéma. Je travaille actuellement sur mon deuxième film qui traitera de la culture hip-hop, du rap à New York en lien avec la chanson française engagée de l’après-guerre à Saint-Germain-des-Prés, à Paris.
Quelles sont vos références cinématographiques ?
Aux États-Unis, le cinéma de Spike Lee, ou de Gus Van Sant, me parle beaucoup. J’apprécie également un réalisateur comme Alejandro Iñárritu : c’est quelqu’un qui a grandi dans la pop culture américaine, mais a su apporter sa singularité grâce à son regard venu de l’étranger. Evidemment, le néo-réalisme de Luchino Visconti reste pour moi une référence absolue. Ainsi que le cinéma de Robert Bresson.
Vous avez déclaré au Monde des Religions que “l’on fantasme beaucoup sur le rap, les cités et l’islam”. Souhaitez-vous faire taire ces fantasmes ?
Absolument. C’était déjà un objectif que je m’étais fixé en écrivant le livre. Je souhaitais développer ces thématiques, mais en les abordant de l’intérieur. Il faut décrire la réalité telle qu’elle est. Les médias, le cinéma, les études d’opinion véhiculent parfois des idées fausses… Ma description, mon analyse est le résultat d’un vécu. La perspective est donc très différente.
Souhaitez-vous être un exemple, le porte-voix des sans voix ?
Ce n’est pas mon souhait, mais j’accepte cette situation. Je ne me défausserai pas de la responsabilité qui est mienne, en tant que personnalité publique. Quand on a la chance de pouvoir faire entendre sa voix, on a des devoirs. En aucun cas je n’agis pour devenir le porte-parole de tel ou tel groupe. Mais j’assume le fait de l’être.
Vous avez qualifié Charlie Hebdo d'”irresponsables”. Est-ce un bon message à envoyer aux Français, quand on sait que certains jeunes ont refus” d’observer une minute de silence en hommage aux victimes, certains expliquant “ne pas être Charlie” ?
Posez donc la question à Charlie Hebdo : est-ce un bon message de publier ces caricatures, alors qu’une partie de la population est fragilisée par rapport à l’islam? Nous ne pouvons pas nous extraire du contexte extrêmement tendu, où les sujets comme l’islam, les banlieues ou l’immigration sont souvent instrumentalisés. Il faut arrêter de réfléchir de façon binaire : ce n’est pas “Je suis Charlie” ou “Je ne suis pas Charlie”. C’est plus complexe que cela. Je maintiens qu’on peut à la fois être opposé à ces dessins, mais considérer que la liberté d’expression de Charlie Hebdo est absolue.
Que répondez-vous à ceux qui disent ne pas comprendre le deux poids deux mesures supposé entre Dieudonné et Charlie Hebdo ?
Je considère qu’on ne peut pas les mettre sur le même plan. Je refuse de les mettre dos à dos. Cependant, le timing et le contexte comptent beaucoup. Il y a trente ans, Desproges pouvait sans problème faire des sketchs sur les chambres à gaz ; aujourd’hui, avec la montée de l’antisémitisme, ce serait inacceptable. Il me paraît que la situation est similaire avec l’islam. La communauté musulmane est fragilisée : faire des caricatures, mettre de l’huile sur le feu s’apparente à de l’irresponsabilité.
Retrouvez l’intégralité de l’interview d’Abd Al Malik dans le numéro d’avril de France-Amérique.