Depuis les années 1960, l’Eglise de France fait de plus en plus souvent appel à des artistes contemporains, croyants ou non, français ou non, dans le cadre de travaux de rénovation ou de commandes publiques. L’occasion pour l’Eglise de présenter un visage moderne et éclairé, et pour les artistes, de se mesurer à un espace riche de symboles et d’histoire.
Les cloches de la cathédrale sonnent à toute volée et résonnent à travers l’édifice néogothique. Sur l’estrade immaculée, les projecteurs baignent d’un halo blafard son corps sans vie. La tête inclinée sur son épaule droite, les bras en croix, le torse et les poignets ceints de sangles de cuir, le Christ est assis sur une chaise électrique. Sous la couronne d’épines, ses yeux sont éteints.
©Paul Fryer 2007. All rights reserved.
Installée dans le chœur de la cathédrale Notre-Dame-et-Saint-Arnoux de Gap, dans les Hautes-Alpes, l’œuvre de l’artiste anglais Paul Fryer a scandalisé les fidèles venus assister à la messe de Pâques, le dimanche 12 avril 2009. Dans un courrier, Rome exige des explications. L’évêque en charge de la cathédrale, Jean-Michel di Falco-Léandri, rejette toute volonté de controverse. Il explique son geste par un désir d’ouvrir les portes de l’Eglise au plus grand nombre et d’encourager les discussions entre les visiteurs. “Mon but est atteint à partir du moment où l’œuvre crée une occasion de dialogue et de débat entre les personnes”, explique-t-il. “Un nombre important de personnes sont venues voir l’installation, dont certaines qui n’avaient pas mis les pieds dans une église depuis très longtemps.”
Confrontée, en Europe, à un nombre de fidèles en déclin et critiquée pour sa position réactionnaire vis-à-vis des grandes questions de société (contraception, avortement, homosexualité…), l’Eglise catholique cherche à se rapprocher de la société civile et à moderniser son visage. Dès le 7 mai 1964, dans un discours prononcé dans la chapelle Sixtine, le pape Paul VI déclare que l’institution catholique a “besoin” des artistes, des peintres, des architectes et des musiciens pour rester pertinente, et s’engage à “rétablir l’amitié entre l’Eglise et les artistes”. Une offre de coopération renouvelée en 1999 dans la Lettre du pape Jean-Paul II aux Artistes, puis en 2009 par Benoit XVI qui déclare : “L’art, dans toutes ses expressions, au moment où il se confronte avec les grandes interrogations de l’existence, peut assumer une valeur religieuse et se transformer en un parcours de profonde réflexion intérieure et de spiritualité.”
©Adel Abdessemed, ADAGP Paris 2012. Courtesy of the artist and David Swirner, New York/London.
Si le Christ devait être mis à mort aujourd’hui, observe Mgr Di Falco à propos de la chaise électrique de Paul Fryer, il serait certainement exécuté en utilisant les moyens contemporains. “C’était une manière de remettre en cause la peine de mort.” Cette année, à l’occasion du week-end pascal, l’évêque a fait le choix d’installer dans la cathédrale de Gap quatre Christ en croix réalisés à partir de fil de fer barbelé, une œuvre de l’artiste franco-algérien Adel Abdessemed. Pour des questions de douanes, toutefois, l’installation n’a pu être transportée en France. A une époque où les frontières se ferment, se hérissent de barbelés et se militarisent, l’évêque cite le pape François et rappelle que “plutôt que de construire des murs, la vocation d’un chrétien est aujourd’hui de construire des ponts”
Le projet d’un évêque “éclairé”
Aux voix qui crient au “blasphème” et fustigent les “réalisations satanistes” des artistes contemporains, la Conférence des évêques de France rappelle une histoire “de plus de mille ans” d’art dans les lieux sacrés. “Les églises sont des lieux de culte pour aujourd’hui”, complète Mgr Di Falco. “Le poids du passé ne doit pas empêcher les artistes de s’exprimer.”
Il n’existe pas en France de programme national d’art contemporain au sein de l’Eglise. Via son département d’art sacré, l’institution catholique informe les diocèses et offre ses conseils quant au choix des artistes, mais la décision de lancer un projet contemporain appartient aux églises—ou aux communes lorsque celles-ci sont propriétaires des lieux.
©Paroisse de la cathédrale de Strasbourg
Lorsque la cathédrale de Strasbourg décide de se doter d’un nouvel ensemble de vaisselle liturgique pour célébrer son millénaire en 2015, l’évêché fait appel à la Haute école des arts du Rhin, réputée pour ses ateliers de joaillerie et d’orfèvrerie. Les élèves façonnent un calice et six coupes de cuivre et d’or dont le pied de grès rose évoque la pierre de la cathédrale. L’architecte Jean-Marie Duthilleul, réputé pour les larges verrières qu’il installe dans les gares et aéroports en France, mais aussi en Chine et au Vietnam, est chargé de réaménager le chœur de la cathédrale.
A Aix-en-Provence, un autre prêtre amateur d’art confie au designer Paul Mathieu la tâche de moderniser l’église de la Madeleine. L’artiste français—qui vit à New York—remplace l’autel de bois par un autel de marbre blanc du Rajasthan, installe un lustre de douze bougies en cristal de Murano dans la perspective du rétable et, pour compléter l’ensemble, réalise un crucifix de cristal de roche et une suite de fauteuils en bronze. L’église revit. Le père Dominique Robert est aux anges. Le bâtiment, toutefois, est actuellement fermé pour travaux jusqu’en 2018
@Jean-Michel Othoniel
Les interventions qui impliquent la modification d’un édifice classé sont initiées par le ministère de la Culture qui, en accord avec les évêques, les Directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et les architectes des monuments historiques nationaux, soumet une liste d’artistes. Pour le chantier de restauration de la cathédrale d’Angoulême, la région Poitou-Charentes propose le nom de Jean-Michel Othoniel. Claude Dagens, un évêque “éclairé” passé par l’Ecole Normale Supérieure et la Sorbonne, élu à l’Académie française en 2008 et ami de l’historien Alain Decaux, est enthousiaste. Dans une œuvre d’art total, l’artiste tapisse de perles de verre coloré les murs et les sols de la salle du trésor, réalise un vitrail or, bleu et blanc inspiré du manteau de la Vierge et redessine les vitrines qui contiennent les objets sacrés de la cathédrale. Les murs scintillent. La salle aux épais murs de pierre prend des airs de coffret à bijoux.
Marc Chagall à Metz
Tous les projets contemporains que commandent les églises ne sont pas aussi vastes et audacieux que l’installation de Jean-Michel Othoniel—qui sera inaugurée à l’occasion des Journées du Patrimoine le 30 septembre 2016. Pour offrir un visage moderne à leurs visiteurs tout en ménageant la sensibilité de leurs fidèles, nombre de lieux de culte font le choix, plus consensuel, de confier à un artiste contemporain la réalisation d’un vitrail. “Le rapport à la lumière parle à tout le monde”, note Maud Cassanet, la responsable du Département d’art sacré de l’Eglise catholique de France. “Le vitrail est un médium qui propose de jouer sur l’ombre et la lumière ; il est apprécié par tous et a une forte connotation théologique.”
©Hans Fonk/Objekt Magazine
En 1944, le prieuré de Saint-Cosme, sur la Loire, est détruit dans un bombardement. L’ancien réfectoire des moines tient bon, mais ses onze vitraux sont détruits. Ils sont restaurés à la hâte dans l’après-guerre. En 2009, le conseil régional d’Indre-et-Loire, propriétaire des lieux, engage le peintre franco-chinois Zao Wou-Ki pour remplacer les vitraux. Pressés entre deux feuilles de verre, les motifs à l’encre de Chine, noirs, rouges, filtrent la lumière et laissent entrevoir le jardin du prieuré et la tombe du poète Pierre de Ronsard. “Il s’agissait de réinventer le bâtiment après sa destruction et de créer un dialogue imaginaire avec Ronsard”, commente Vincent Guidault, le responsable des lieux.
Les exemples d’églises, couvents, abbatiales et cathédrales dont les vitraux sont signés par de grands noms de l’art contemporain sont nombreux. Les vitraux des cathédrales de Metz et de Reims et ceux de l’abbaye Saint-Pierre de Moissac dans le Tarn-et-Garonne sont signés Marc Chagall. Ceux de l’abbaye de Noirlac dans le Cher sont l’œuvre de Jean-Pierre Raynaud. Le peintre Pierre Soulages a réalisé ceux de l’abbaye Sainte-Foy de Conques dans l’Aveyron, et l’Anglais Matthew Tyson ceux de la cathédrale Saint-Pierre dans le Jura. “Les vitraux ont une visibilité extérieure, c’est le signe d’une église ouverte et accueillante”, remarque Maud Cassanet. Et Mgr Di Falco de conclure : “C’est une manière de construire un pont entre les Chrétiens, entre les différentes cultures, entre l’Église et le monde contemporain.”
Article publié dans le numéro de mai 2016 de France-Amérique.
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