The Final Word: Confetti

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Linguiste, lexicologue et créateur du dictionnaire Petit Robert, éminent spécialiste de la langue française, Alain Rey décortique deux mots essentiels aux fêtes de fin d’année : cadeau et confetti.

CONFETTIS

Dans l’énorme courant de mots italiens adoptés par la langue française, il n’y a pas que l’art, la musique et la pasta, mais aussi la gaité du carnaval — mot lui-même italien — avec cet objet inutile et gracieux, les confettis. Un nuage de pastilles de couleurs vives, mêlé de serpentins, voilà pour nos contemporains les confettis, un peu compromis par les folies petites-bourgeoises avec mirlitons et autres amusettes infantiles. On oublie la forme du mot, pourtant révélatrice d’une origine inattendue. Confetto, c’est autant dire que confit, qui a divorcé de confiserie et de confiture, bien qu’il ait la même origine. Avant d’être légers et impalpables, les confettis, lorsque Stendhal emploie ce mot dans sa correspondance, en 1842, étaient des boulettes de plâtre coloriées ; on imagine que dans les combats carnavalesques, ils devaient causer de petites contusions. Ces boulettes inconsommables mimaient un autre objet, que la langue française nomme de manière un peu niaise des “bonbons”. Dans cette vocation sucrée, le confetto exprime de manière très vague le façonnage et la fabrication. En effet, confire, en italien, ne signifie que « fabriquer », mais s’applique dès le Moyen-Age aux fruits transformés en friandises grâce au sucre et au miel. En passant par la langue russe, les confettis italiens sont devenus Konfieta, désignant les sucreries, les bonbons ; l’allemand Konfikt ajoute à cette idée, celle de confiture. Les Français, s’estimant suffisamment pourvus en termes de confiserie, ne prirent des confettis italiens que le côté carnavalesque et immangeable, exprimé dans la langue de Dante par l’expression confetti di gesso, autrement dit “bonbons de plâtre” (gesso : gypse). A côté de ces confettis d’origine, les pastilles colorées s’appellent coriandoli , “coriandres”. Ainsi, dans ce carnaval où l’on aperçoit encore carne, la viande, tout semble graviter autour du comestible, travesti en ornement papillotant. Négation de l’oralité ? Refus psychédélique de tout confits, confiseries et confitures ? Ces confettis, on en mangerait, pourra-t-on dire ; al dente, bien sûr.

CADEAU

C’est un vrai cadeau, ce petit mot, non seulement pour ceux qui aiment les dons, les présents, les régals — comme on dit à Milan et à Rome —, mais pour les amateurs d’histoires drôles. “Eh, p’tite tête, t’es pas un cadeau, toi !”, comme on peut dire aujourd’hui, cette invective cache un joli pléonasme. Car le cadeau fut bien une “petite tête”, un capitellum en latin, diminutif de caput, le “chef”, la tête, voué à la noble fonction de “chapiteau”. Or, il arriva qu’en provençal ancien un capdel, en quelque sorte un cadet, fut aussi une belle lettre initiale et “capitale” ornée, souvent d’une tête humaine aussi expressive que symbolique. Cette lettre cadelée, comme on a dit au XVe siècle, faisait le charme de maints manuscrits à miniatures — mot qui n’évoque pas la petitesse, à l’origine, mais la couleur rouge du minium —, et l’on conçoit que l’idée d’ornementation raffinée et minutieuse ait pu se prêter à quelque hommage galant. En effet, lorsqu’on offrit à la belle Julie, alias Madame de Rambouillet, un recueil de madrigaux dont chaque feuille était agrémentée d’un dessin floral, c’était bien une guirlande de cadeaux — au sens hérité — qu’on lui remit. Le bon Ménage, laïc patron de tous les étymologistes de France, trouvait un peu étrange que les belles lettres ornées que les “maîtres à écrire” offraient en exemple à leurs écoliers soient devenues de menus présents, et que “faire des cadeaux” puisse équivaloir à “des choses précieuses et inutiles”. Mais que faire contre la mode ? Le cadeau devint vite une façon de séduire les dames en se faisant valoir : galanterie et vanité, mixture invincible. Ainsi, faire un cadeau devint la version élégante du présent, vocable aujourd’hui désuet, mais non sans charme, et mit de la galanterie dans les rapports sociaux. De l’époque de Molière, où le mot avait la force de la nouveauté, à la nôtre, le cadeau s’est banalisé, et c’est dommage. Reste que lorsqu’on dit : “Il (ou elle) ne fait pas de cadeau”, on dénonce un caractère sans générosité, on souligne que les cadeaux sont l’indice de ce qui demeure de désintéressement et de désir de plaire dans un monde desséché par la soif d’argent.

Article publié dans le numéro de décembre 2008 de France-Amérique.