Jusqu’en 1964, le français cajun était interdit en Louisiane. Ce dialecte mêlant influences françaises, anglaises, espagnoles et caribéennes renaît aujourd’hui dans la musique des Lost Bayou Ramblers. Chanteur et violoniste du groupe, Louis Michot témoigne de son engagement pour la survie de la culture cajun en Louisiane.
France-Amérique : Comment le français cajun est-il apparu en Louisiane ?
Louis Michot : Au printemps 1755, les Britanniques s’emparent de l’Acadie [les actuelles provinces canadiennes de la Nouvelle-Ecosse, du Nouveau-Brunswick et de l’Ile-du-Prince-Edouard] et déportent les colons francophones qui y vivaient. En s’installant en Louisiane, ces 12 000 Français canadiens ont donné naissance au français cajun (ou français cadien ou français louisianais). Le français cajun est une langue parlée. L’héritage français de la Louisiane et ses échanges avec les Caraïbes et l’Amérique latine ont teinté le français cajun de nombreuses influences. On y retrouve des expressions d’origine française, espagnole, anglaise, amérindienne et africaine. En Louisiane, vendue aux Etats-Unis en 1803, le français cajun a évolué de manière indépendante du français de métropole. Ce qui explique que beaucoup de Français ne comprennent pas le français cajun. “Char” signifie “voiture” et “gros char” veut dire “train”. On dit “almanach” pour “calendrier” et “asteur” pour “maintenant”.
Quels liens entretenez-vous avec le français cajun ?
Originaires de La Charité-sur-Loire dans le centre de la France, mes ancêtres sont arrivés à Haïti au XVIIIe siècle puis à La Nouvelle-Orléans en 1803. Mon arrière-grand-père Louis Michot, né dans les années 1897, est le dernier Michot à avoir appris le français comme langue maternelle. En 1921, toute langue autre que l’anglais est devenue illégale en Louisiane. Maître d’école, mon arrière-grand-père est devenu malgré lui le policier de cette loi : ses enfants n’ont jamais appris le français à l’école. Mon père et mes oncles ont appris le français et le français cajun par eux-mêmes, en formant leur groupe de musique Les Frères Michot dans les années 1980. Mon frère André, mes cousins et moi-même avons continué cette tradition en formant notre propre groupe de musique, les Lost Bayou Ramblers.
Comment avez-vous appris le français Cajun ?
Adolescent, je faisais partie d’un groupe qui chantait en français cajun et remplaçais parfois mes oncles sur scène. J’ai ensuite suivi un programme d’immersion en français à l’Université de Sainte-Anne en Nouvelle-Ecosse [l’ancienne Acadie], le berceau historique du français en Amérique du Nord. J’ai appris le français en même temps que le violon. La musique est une langue universelle dans notre famille, comme un pont qui a permis au français cajun de survivre et de traverser les générations.
Quel futur imaginez-vous pour le français cajun en Louisiane ?
Il y a un peu moins de cent ans, parler français était une tare en Louisiane. Encore aujourd’hui, le français cajun se parle essentiellement en famille. Les gens ont honte de parler français cajun en public. Mais les mentalités changent peu à peu. Les gens se rendent compte qu’être bilingue est un avantage. J’étais récemment dans un magasin lorsqu’une dame a dû traduire en français cajun le prix d’une boîte de médicaments pour son mari : “six piastres” pour “six dollars”. Comme ce couple, il y a encore en Louisiane des gens qui ne parlent pas un mot d’anglais. C’est étonnant et rassurant : le français cajun n’est pas près de disparaître !