Mise au point aux Etats-Unis en 1956, la contraception orale s’est diffusée dans le monde entier. Elle est le troisième moyen de contraception le plus utilisé au monde, mais c’est en France qu’elle a connu son plus grand succès.
Liloo, Diane 35 ou Jasminelle : la pilule fait partie du quotidien d’une Française sur deux ayant recours à la contraception1. Une exception, quand on sait qu’aujourd’hui les premiers moyens de contraception au monde sont la stérilisation (30% des couples) et le stérilet (22%). Dans son pays d’origine, les Etats-Unis, la pilule n’arrive qu’en seconde position des pratiques contraceptives après la stérilisation féminine et masculine (43%).
Création et révolutions sexuelles
Mise au point en 1956 par le médecin américain Gregory Pincus, la pilule est approuvée par la Food and Drug Administration (FDA) en 1960. Elle est à l’origine de la première “révolution sexuelle” aux Etats-Unis. Dans un premier temps, elle est commercialisée pour réguler les troubles menstruels, avant d’être autorisée à la vente à des fins contraceptives pour les femmes mariées. Les femmes célibataires y auront accès en 1972 après une décision de la Cour Suprême. Elle permet de reculer l’âge du mariage et de favoriser l’accès des femmes à l’université.
En France, il faut attendre la loi Neuwirth de 1967, qui dépénalise la contraception, pour que la pilule devienne accessible aux femmes. Le Planning Familial en fait la promotion. “Elle est toujours très ancrée dans la culture française car elle a bénéficié d’une aura de conquête féministe”, explique la sociologue Cécile Thomé. “Pour les militantes des années 1970, c’était une avancée formidable”. En 1974, une loi prévoit son remboursement à 65% par la Sécurité Sociale.
Dès les années 1980, la pilule devient le moyen de contraception le plus populaire en France. Une “norme contraceptive française” s’établit : les femmes utilisent le préservatif au début de leur vie sexuelle, la pilule lorsqu’elles sont en relation stable, puis le stérilet (ou DIU, dispositif intra-utérin) lorsqu’elles ont eu le nombre d’enfants qu’elles désirent. Un schéma toujours d’actualité.
Une différence culturelle
Aux Etats-Unis, la pilule a été remise en question très tôt. Dès 1969, l’activiste Barbara Seamen publie The Doctor’s Case Against the Pill dans lequel elle dénonce les dangers de cette méthode de contraception — les fortes doses d’œstrogènes pouvant entraîner crises cardiaques, caillots sanguins, cancer et dépression — dont les médecins n’informent pas les patientes. Les “Nelson Pill Hearings” de 1970 portent ces préoccupations devant le Sénat américain et stimulent le débat public.
En France, il faut attendre 2012 et le décès d’une jeune femme pour que les pilules2 dites “de troisième génération” soient accusées de favoriser les thromboses veineuses (la formation de caillots de sang). “On entre alors dans une pill-scare comme en connaissent les Etats-Unis et l’Angleterre depuis longtemps”, explique Cécile Thomé. Prises de panique, près de 18% des usagères françaises changent alors de contraception.
Lors de cette crise, la pilule Diane 35 est retirée du marché pendant quelques mois. Sa principale composante (le ciproterone acetate) n’est pas commercialisée aux Etats-Unis, mais le pays connaît dans le même temps un autre scandale avec les pilules contenant du drospirenone, une substance suspectée d’augmenter les risques de thromboses. La FDA n’interdit pas la vente de ces pilules, mais elle en modifie les recommandations d’usage pour sensibiliser les médecins et patientes.
Une contraception réversible
Son faible prix a contribué à populariser la pilule en France. “Le remboursement par la Sécurité Sociale a contribué à son utilisation : on peut parler d’une démocratisation par les prix bas”, souligne la gynécologue Danielle Assoune. Une femme dépensera rarement plus de 10 à 15 euros par mois, contre 15 à 50 dollars aux Etats-Unis. Les produits de deuxième génération2 sont remboursés et les adolescentes de moins de 15 ans y ont accès gratuitement. Depuis 2001, elles peuvent aussi être prescrites par les médecins sans autorisation parentale.
Autre grande différence entre la France et les Etats-Unis : les Françaises ont dû attendre la loi de 2001 sur la contraception et l’avortement pour que la stérilisation soit légale. “Elle était jusqu’alors considérée comme une atteinte à l’intégrité corporelle”, explique Danielle Assoune. Depuis cette loi, toutes les femmes y ont accès sans condition d’âge. “Pour les Françaises, la contraception doit être réversible.” Seules 4,5% d’entre elles ont eu recours à la stérilisation en 2016. Aux Etats-Unis, elle concerne 43% des femmes en âge de se reproduire.
Depuis 2010, avant la “crise de la pilule”, la contraception orale a vu son succès s’amoindrir avec la popularisation d’autres moyens de contraception apparus dans les années 2000, comme l’anneau et le stérilet, et avec le retour du préservatif. La pose de stérilets aux jeunes femmes nullipares (qui n’ont jamais porté d’enfant ou accouché) a contribué à ce désamour.
1 Selon le bulletin mensuel d’information de l’Institut national d’études démographiques, numéro 549, novembre 2017.
2 Il existe quatre “générations” de pilules, différenciées par la nature des progestatifs (hormones régulant la fertilité) qu’elles contiennent et à leur dosage en œstrogènes. Celles de “deuxième génération” ont été créées dans les années 1970 et 1980. Commercialisées dans les années 1990, les pilules de “troisième génération” sont supposées avoir moins d’effets secondaires et réduire l’acné et la prise de poids, mais elles présentent plus de risques que celles de deuxième génération.