Quatrième long métrage du réalisateur libanais installé en France Ziad Doueiri, L’Insulte est actuellement en salles aux Etats-Unis. Le film a été présélectionné dans la catégorie “Meilleur film en langue étrangère” pour les Oscars dont la cérémonie se tiendra le 4 mars prochain.
Après West Beyrouth (1998), Lila dit ça (2004) et L’attentat (2012), l’ancien assistant caméraman de Quentin Tarantino sur les tournages de Reservoir Dogs, Pulp Fiction et Jackie Brown exprime son regard sur la société libanaise. L’Insulte voit s’affronter deux hommes dans le Liban d’aujourd’hui : un chrétien quadragénaire, Tony, propriétaire d’un garage et fervent sympathisant des Forces libanaises, et un Palestinien, Yasser, chef de chantier habitant un camp de réfugiés. La trame est déclenchée par une dispute entre les deux hommes qui va dégénérer en affaire d’Etat. Devant les tribunaux, les blessures secrètes de la guerre refont surface.
France-Amérique : L’Insulte montre combien il est difficile de surmonter les animosités héritées des conflits. Pensez-vous qu’un examen critique du passé libanais, trente ans après la fin de la guerre civile, soit encore nécessaire ?
Ziad Doueiri : Il n’y a pas de règle mais un dialogue national, c’est toujours mieux. Il permet une réconciliation qui solidifie l’avenir, comme le dialogue qu’il y a eu entre les Allemands et les Français après la Deuxième Guerre mondiale. Au Liban, après la guerre, il y a eu une amnistie mais pas de réconciliation. Les blessures sont toujours d’actualité, comme dans d’autres pays. Mon film a été projeté il y a deux mois en Espagne, au festival de Valladolid. Le public a été particulièrement touché car l’histoire de cette division libanaise a été éclairée par l’actualité locale [l’Espagne profondément divisée entre indépendantistes catalans et unionistes]. Le film était projeté le jour même où la Catalogne a fait sécession, l’émotion était immense. Après Franco, la page a été tournée très vite, il n’y a pas eu de dialogue national en Espagne. Et quarante ans plus tard, la société espagnole souffre encore de ces failles. Je pense donc qu’un dialogue national est très important pour réparer l’histoire. On peut vivre sans, mais certainement moins bien.
Dans le film, les deux protagonistes du conflit pensent que la justice est impartiale, qu’elle ne servira pas leur cause. Quel est votre point de vue ?
Le Liban essaie d’être un pays de droit mais certaines exceptions indiquent le contraire. Dans mon film, comme dans un western, on assiste au face-à-face de deux antagonismes. L’un des personnages croit en la justice et va suivre la procédure judiciaire à la lettre. L’autre n’y croit pas. Ces deux personnages vont se retrouver, s’affronter et être obligés de se regarder dans les yeux. L’intérêt du film n’est pas le verdict du procès, qui autorise le suspense, mais la quête de justice et de dignité. C’est une histoire universelle.
Vous avez vécu au Liban, aux Etats-Unis et maintenant en France. Quel est votre rapport à ces trois pays ?
Je suis diplômé de l’Université de San Diego et j’ai vécu dix-huit ans aux Etats-Unis, à Los Angeles. J’habite en France en ce moment mais j’étais au Liban pendant un an pour le tournage de L’Insulte et je pense toujours à l’Amérique. Le film est une coproduction libanaise, américaine et française. Sur un plan plus personnel, mon rapport à ces trois pays est complexe mais il est aussi très agréable. Je le considère comme un atout. Je ne me sens pas coincé dans une culture. En Amérique, la France me manque. En France, le Liban me manque. Quand on est expatrié, il y a toujours une indécision, on ne sait plus trop où l’on souhaite jeter l’ancre. Il y a quelque chose de très agréable dans la culture libanaise, c’est la chaleur. Mais je ne me sens pas très libre à cause des autorités. En France, je me sens vraiment libre, il y a une tolérance incroyable. Et aux Etats-Unis, j’apprécie le dynamisme du travail. Mon écriture est une combinaison de ces trois cultures. L’Insulte, comme L’Attentat, ont été écrits en anglais, puis traduits en arabe et en français. Je me sens plus à l’aise dans l’écriture en anglais qui est pour moi la langue du cinéma.