A première vue, tout oppose Donald Trump et Emmanuel Macron. Les deux hommes ont toutefois certains points communs.
Le premier est deux fois plus âgé et truculent, l’autre est solide et précis. Trump bouscule tous les protocoles alors que le président français s’en tient aux bonnes manières européennes. Trump est nationaliste, populiste, hostile aux migrants et à tout ce qu’il décrète non américain ; il préconise le repli des nations sur leurs territoires et leurs valeurs, il se méfie instinctivement des autres et des échanges ; il ne croit pas en la diplomatie et considère que la force affichée, voire les gesticulations belliqueuses, constituent la meilleure parade contre les rivaux, les alliés et les ennemis sans que l’on puisse trop distinguer entre eux. Macron en revanche illustre une conception ouverte de la culture française, accueille avec bienveillance les apports étrangers, s’investit dans la diplomatie active, ne diabolise personne, ni individu ni collectivité, et estime que ce que l’on appelle la mondialisation est un bienfait pour l’humanité. Ajoutons que Macron est un catholique fervent et ne s’en cache pas, tandis que la religion de Trump s’apparente au culte du succès matériel.
Et “en même temps”, comme le dirait Emmanuel Macron, à voir les deux hommes s’embrasser, par la parole et le geste, lors de leur rencontre récente à Washington, on doit envisager quelques ressemblances. L’un et l’autre sont parvenus au sommet sans passer par le labyrinthe ordinaire d’une carrière politique. D’emblée, ils se sont adressés au peuple, sans l’intermédiaire des partis, recourant à l’arme plus puissante des médias de masse et des réseaux sociaux ; l’un et l’autre maîtrisent la “communication” moderne, croient en elle et en connaissent tous les ressorts techniques. Macron et Trump sont des hommes de communication et de marketing, excellents à se vendre eux-mêmes : dans les deux cas, ça marche. Loin des partis et des ligues de partage traditionnels, ils inventent une nouvelle manière de faire de la politique et aussi un nouveau clivage idéologique. Macron n’est ni à droite ni à gauche ; Trump n’est en vérité, ni républicain ni démocrate, ni conservateur ni libéral (au sens américain du terme).
La nouvelle frontière est la mondialisation, la société ouverte ou la société fermée. Trump est du côté de la fermeture, Macron de l’ouverture, mais ils s’accordent à estimer que le débat vital de notre temps remplace toutes les querelles antérieures. Et malgré cette opposition qui paraît frontale, comment ne pas observer que tous les deux font l’éloge de la réussite personnelle plus que de la solidarité collective. Ce qui vaut à Macron d’être, justement ou non, qualifié de président des riches ; Macron s’en défend car c’est en France une insulte, alors que Trump s’en félicite, ce qui aux États-Unis est acceptable. Voici donc deux hommes qui disent vouloir tout changer, qui ramènent tout débat à leur mesure, qui négocient peu et préfèrent passer en force : ce qui explique que chacun dans son pays a ses fans, ses groupies, expression qui convient mieux que l’archaïque concept de partisan. Quitte à tout changer, l’un et l’autre, par-delà leur ascension au pouvoir et son exercice, ont aussi métamorphosé la définition du couple : Trump change sans cesse d’épouse de manière à ce que celle du moment reste éternellement jeune. Macron casse les codes à sa manière, battant Napoléon qui était plus jeune que l’Impératrice Joséphine d’un bonne dizaine d’années (on ne sait pas exactement quel âge avait Joséphine).
Par-delà les apparences de la camaraderie entre les deux couples (Brigitte Macron se dit l’amie de Melania Trump), par-delà les exigences de la politique et du show business, il faut envisager une complicité authentique entre deux egos, surdimensionnés, qui sont de part et d’autre de l’Atlantique, une photographie de ce qu’est devenue la politique en notre temps : un reality show.
Edito publié dans le numéro de juin 2018 de France-Amérique