Trump, Made in the USA

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Quel candidat à la présidence des Etats-Unis aurait-il traité son adversaire de “gros lourdaud souillé de concombre” ? Ce n’est pas Donald Trump, mais Zachary Taylor, en 1848.

Auparavant, John Quincy Adams avait accusé son concurrent Andrew Jackson d’être le fils d’une prostituée irlandaise déportée vers les Etats-Unis et James K. plk soupçonnait Henry Clay d’avoir enfreint l’ensemble des dix commandements. Les réseaux sociaux n’existaient pas encore, mais affiches, tracts et gazettes répandaient vite ces insultes qui collaient aux candidats.

La violence verbale a toujours fait partie des élections américaines. Chez Trump, l’innovation tient plus à la technique de communication, Twitter, qu’au contenu. Le mensonge n’est pas non plus sans précédent. Trump avance, sans preuve, que Hillary Clinton souffre, entre autres, de la maladie de Parkinson, mais Franklin Roosevelt, à l’inverse, mena trois campagnes victorieuses en dissimulant qu’une poliomyélite lui interdisait de se tenir debout et de marcher. Jusqu’à sa mort en 1945, les Américains ont ignoré la gravité de son handicap. Ces traditions politiques américaines, vues d’Europe, nous laissent pantois, mais elles expliquent en partie pourquoi l’électorat de Trump reste insensible à son incessante cascade de mensonges et d’agressions.

Le machisme de Trump et son racisme à l’encontre des Mexicains, des Musulmans et des immigrants peuvent se réclamer de racines anciennes. Désignant à l’origine la haine des Blancs protestants d’origine anglo-saxonne contre les Noirs et les immigrés irlandais, italiens, russes, juifs ou chinois, le “nativisme” est une constante politique américaine. Les Noirs et les Juifs sont aujourd’hui protégés contre les agressions verbales, mais les derniers arrivés — les Latinos — héritent de tous les préjugés hostiles aux nouveaux venus. Qualifiant les Mexicains d’assassins et de violeurs, Trump n’innove pas ; il recycle de vieux clichés et ça ne semble pas gêner ses partisans.

En Europe aussi, la xénophobie a été — et est de nouveau — un moteur de campagne, mais l’Amérique se distingue radicalement, à droite surtout, par sa haine de l’Etat. Les Européens attendent tout de l’Etat, certainement plus qu’il ne peut fournir, tandis qu’une grande partie des Américains n’en attend absolument rien. Il est d’usage chez les candidats républicains, mais parfois chez les démocrates (Jimmy Carter, par exemple), d’attaquer Washington et sa bureaucratie, éloignés des préoccupations réelles de la nation. L’hostilité de Trump envers l’establishment appartient elle aussi au répertoire américain.

Que l’Etat fédéral soit “cassé” et qu’il faille le “réparer” est un propos reaganien autant que trumpien. Trump, toutefois, se distingue de ses prédécesseurs populistes (on pense à William Jennings Bryant, trois fois candidat entre 1896 et 1908) par son ignorance, sans doute réelle, des institutions — Congrès, Cour Suprême — sans lesquelles aucun président ne peut agir. “Je ne sais pas moi-même”, commentait récemment le sénateur républicain John McCain. “Je l’entends dire beaucoup de choses et leur contraire.” Cette ignorance de Trump s’inscrit elle aussi dans une tradition ancienne, celle de l’ignorance proclamée, une sorte de sagesse populaire qui serait plus avisée que celle des experts qualifiés de “têtes d’œuf” durant l’ère Kennedy.

Un mouvement bien nommé, les Know Nothing, né à la fin des années 1840 pour s’opposer à l’immigration catholique, devint l’American Party avant d’être absorbé par le Parti Républicain. Le parti connut une brève existence politique, mais laissa une influence durable que l’on retrouve aujourd’hui dans le Tea Party, cette droite dure qui dénonce en Obama un communiste musulman. Au sens où il ne sait rien, Trump est clairement un Know Nothing lui aussi.