Une exposition organisée par la Barnes Foundation de Philadelphie explore l’influence de Pierre-Auguste Renoir, le peintre, sur son fils Jean Renoir, le cinéaste.
A l’âge de neuf ans, le réalisateur américain Martin Scorsese vit Le Fleuve de Jean Renoir au cinéma. A peu près au même moment — comme il s’en souvint des années plus tard —, il tomba sur une carte postale d’un tableau de Pierre-Auguste Renoir représentant deux jeunes filles en train de pique-niquer. Scorsese ne se rappelle pas si, à l’époque, il avait fait le lien entre le père et le fils, mais il le fit certainement par la suite lorsqu’il affirma que Le Fleuve était “le plus beau film en couleur jamais réalisé”. Scorsese avait été frappé par l’influence du peintre impressionniste sur Jean dans l’utilisation de la couleur, pour les séquences de paysages notamment. Par exemple, une scène du film dans laquelle deux petites filles sont endormies “semble tout droit sortie d’une œuvre de son père.”
Scorsese ne fut ni le premier ni le seul à déceler ces liens visuels autant qu’intellectuels. Bien au contraire, ce fructueux et parfois paradoxal dialogue entre un fils et son père se retrouve dans la longue carrière de metteur en scène de Jean Renoir qui, pour ne citer que quelques-uns de ses films, a réalisé Nana (1926), La Grande Illusion (1937), La Règle du jeu (1939) et Le Carrosse d’or (1954). Cas de figure exceptionnel, sinon unique, dans l’histoire de l’art. D’autres réalisateurs ont été inspirés par des peintres, mais jamais un fils par son propre père.
Jean reconnaissait l’influence de son père sans la comprendre totalement. “J’ai toujours essayé de savoir à quel point mon père m’a influencé”, reconnut-il un jour. A la fin de sa vie, il confia au vieil acteur américain Norman Lloyd qu’au début de sa carrière les critiques pensaient qu’il allait reproduire le style de son père dans ses films. Il avait travaillé dur pour ne pas imiter Renoir père mais, au final, il avoua que les critiques avaient eu raison.
Il était inévitable que tôt ou tard quelqu’un ait eu l’envie d’explorer la relation entre les deux artistes et entre peinture et cinéma dans le cadre d’une exposition. Sylvie Patry, directrice de la conservation et des collections du musée d’Orsay à Paris et directrice adjointe de la Fondation Barnes à Philadelphie, est cette personne ; et le résultat de ses efforts est une exposition intitulée Renoir: Father and Son, Painting and Cinema, au cours de laquelle le public pourra juger par lui-même de la relation entre les deux hommes. L’exposition sera présentée à la Fondation Barnes jusqu’au 3 septembre, et à partir du 5 novembre au musée d’Orsay (sous le titre Renoir père et fils : peinture et cinéma). En présentant des extraits de films à côté de tableaux de Renoir père, des photographies, des costumes et des documents, l’exposition dépasse le seul cadre de références visuelles et explore les thèmes (la condition des femmes, par exemple) et les lieux (Paris, le sud de la France) communs aux deux œuvres y compris, comme le formule Sylvie Patry, “un sens de l’humanité, une espèce d’approche panthéiste de la nature, et l’idée que l’artiste est un artisan”.
Une relation compliquée et tiraillée
Jean Renoir avait 25 ans quand son père mourut, mais sa relation avec l’immense artiste et son travail avait été très intime. Jean et ses frères et sœur, bien que réticents, servaient fréquemment de modèles à leur père. Jean Renoir n’a jamais filmé son père, et ne débutera dans le cinéma que cinq ans après la mort de celui-ci, mais son livre, Pierre-Auguste Renoir, mon père est l’un des meilleurs portraits littéraires consacrés à un artiste. Toutefois, comme le fait remarquer Sylvie Patry, du point de vue du réalisateur, “leur relation était compliquée et oscillait entre des moments d’admiration et d’autres de rejet. Si l’exercice de son art et l’univers créatif de Pierre-Auguste ont influencé l’œuvre de Jean, ses films ont mis en lumière les toiles de son père.”
A la mort de Pierre-Auguste Renoir, on trouva dans son atelier 720 toiles, dont un grand nombre fut vendu par Jean et ses deux frères à des collectionneurs et des marchands du monde entier. Parmi ces acheteurs, l’Américain Albert C. Barnes acquit auprès de Jean 44 petits tableaux, dont quelques-uns, de simples esquisses, sont aujourd’hui disséminés dans les salles de la fondation. Barnes était obsédé par Renoir et, à la fin de sa vie, il avait accumulé 181 œuvres, la plus grande collection privée connue. Pour faire bonne mesure, l’exposition présente aussi quelques prêts d’autres institutions, parmi lesquels un portrait de Jean à quinze ans tenant un fusil de chasse. Accroché au mur de son salon à Los Angeles jusqu’à sa mort, ce portrait est désormais visible au L.A. County Museum of Art.
Autant de raisons qui font de la Barnes le lieu idéal pour cette exposition. Comme il est naturel que celle-ci trouve sa genèse aux Etats-Unis où Jean Renoir résida de façon permanente des années 1940 jusqu’à la fin de sa vie, ne se rendant qu’occasionnellement dans sa France natale.1 En fait, Renoir: Father and Son, Painting and Cinema est une idée qui n’a que trop tardé : Pierre-Auguste Renoir est un monument de l’art occidental, et son fils un réalisateur vénéré par les scénaristes et metteurs en scène. François Truffaut aimait tant Le Carrosse d’or qu’il baptisa sa société de production d’après le titre du film. Presque tous les 19 longs métrages de Jean Renoir (14 réalisés en France, 5 aux Etats-Unis) ont été des succès critiques, et quelques-uns des succès commerciaux.
Malgré l’admiration de ses pairs, son génie cinématographique n’a jamais été du goût des studios hollywoodiens inféodés au box-office, ce qui explique une œuvre américaine rare et, par voie de conséquence, une notoriété encore trop confidentielle en Amérique. Souhaitons que cette exposition y remédie.
1 Voir l’article “Renoir à Hollywood” publié dans le numéro de septembre 2016 de France-Amérique
Renoir: Father and Son, Painting and Cinema
Jusqu’au 3 septembre 2018
Barnes Foundation
2025 Benjamin Franklin Parkway
Philadelphia, PA 19130
www.barnesfoundation.org
Article publié dans le numéro d’avril 2018 de France-Amérique[:]