Sur des compositions électro du français Para One, qui structurent les parties du récit, Céline Sciamma filme l’éducation sentimentale et la construction de l’identité de Marieme (la débutante et formidable Karidja Touré), 16 ans, habitante d’un « quartier » de la périphérie parisienne, entourée de ses trois amies qui composent la fameuse bande.
France-Amérique : Comment votre film a été reçu au festival de Sundance ?
Céline Sciamma : L’accueil a été très chaleureux, la presse enthousiaste et les salles étaient pleines. J’attends toujours la sortie de mes films aux Etats-Unis. C’est un territoire de cinéma évidemment mythique. J’essaye de faire des films européens, ils circulent assez simplement en Europe, on retrouve une cohérence. Pour les Etats-Unis, on ne sait jamais comment ça va se passer.
Comment avez-vous eu l’idée d’un match de football américain comme scène d’ouverture de votre film ?
Je suis tombée en France sur des équipes de football américain de filles et de garçons. J’avais envie d’ouvrir par une scène d’action, une séquence qui soit assez programmatique du film, politique. Donc des filles en équipe, puissantes, qui jouent à être violentes, pour marquer des points. C’est aussi un programme esthétique. On est sur un territoire qui n’est pas forcément français, ce qui ne veut pas obligatoirement dire que c’est le début d’un récit « à l’américaine ». Je voulais dire que l’on est d’entrée au cinéma, dans la fiction, dans des mythologies. J’avais aussi besoin qu’elles portent des casques, que l’on soit surpris de découvrir que c’est des filles sur le terrain. Je voulais questionner les places, comment certains costumes vous donnent certains pouvoirs. Dans une hyper féminité de groupe, Marieme a le pouvoir de prendre la parole, pouvoir qu’elle n’a pas dans l’espace privé. C’est moins de questionner la virilité, que les systèmes de domination. A partir du moment où elle devient à son tour dominante, Marieme devient censeur, elle veut contrôler ses proches. C’est donc un cheminement de l’identité, elle essaye ces différentes identités à sa portée comme différentes hypothèses d’elle même. On lui a refusé la normalité, à l’école notamment. La scène est enfin une référence américaine car j’adore la série Friday Night Lights (2006-2011). C’est des chorégraphies sportives qui sont loin du clip, qui incarnent de façon très physique les enjeux du film.
Après Les Revenants (2012), écrivez-vous encore pour des séries télévisées ?
J’aimerais bien écrire ma propre série. Entre chaque film, j’essaye de développer des idées, sans avoir de projet précis pour le moment.
Vous insistez sur le fait que Bande de filles n’est pas un film de banlieue ou un film de bande.
Ce n’est pas un film de banlieue, dans la mesure où le film s’y passe, mais la banlieue est vue comme un lieu de fiction. Le film de banlieue est devenu un sous-genre en France, immersif, on lui assigne quasiment une direction artistique. Je ne voulais pas faire un film de plus, mais un film d’après, « post-banlieue », qui s’inscrit dans l’histoire de ce territoire. La banlieue est un lieu extrêmement intime, propice à la fiction, sentimentale.
Avez-vous consulté certains livres ou films pendant la préparation de ce film ?
Je ne regarde pas trop de films lorsque j’en fais un. Un film est toujours très autoritaire. En revanche, j’écoute beaucoup de musique, j’ai besoin d’être accompagnée par la fiction. J’avais des idées sur la musique avant d’écrire le scénario, la chanson de Rihanna est venue pendant l’écriture .
Comment s’est construite la séquence déjà célèbre rythmée par la chanson Diamonds de Rihanna ?
C’es une chanson parfaite parce que c’est à la fois un tube du moment et de, l’ordre du classique instantané. Ces paroles, dans la bouche de mes personnages, touchaient à l’hymne générationnel. C’est un hommage à l’amitié et les vertus narcissisantes, émancipatrices du collectif. Nous pensions que les droits de la chanson serait impossibles à obtenir. La maison de disque s’est rapidement déclarée prête à nous les donner, mais nous ne pouvions l’utiliser sans l’accord de l’artiste. Nous avons contacté le manager de Rihanna. Il m’a dit avoir aimé la séquence, ils nous ont fait une faveur. Ce qui montre que chez cette chanteuse, dans son entourage, il y a une considération pour l’underground, les outsiders. Tout n’est pas que marketing. On comprend mieux comment on peut devenir une grande star.
En quoi votre démarche artistique est-elle différente de celle de Xavier Dolan dans Mommy (2014), qui filme aussi des scènes de karaoké et de playback ?
Les séquences des deux films ont le point commun d’être baignées de bleu. Mais je ferai plutôt le rapprochement avec la scène de la chanson de Céline Dion On ne change pas dans Mommy. Ces deux séquences racontent l’entrée d’un personnage dans un groupe, à la faveur de la chorégraphie, la naissance des sentiments entre les gens. Mais Dolan le fait quatre ou cinq fois dans son film. C’est la première fois que je mets une chanson ainsi dans un de mes films. On comprend le pouvoir, la puissance de conviction de ces scènes. C’est extrêmement séduisant, si on a les moyens de les réaliser. C’est un moment de bascule esthétique dans Bande de filles, mais aussi un instant très narratif, pas un clip.
Le marketing américain présente votre film comme « le Boyhood français », d’après le film à succès de Richard Linklater. Que pensez-vous de cette association ?
J’ai choisi le titre anglais Girlhood sans connaitre l’existence du film de Linklater. Je cherchais quelque chose autour du double sens du titre en français. je ne voulais pas de référence au gang, qui suggère la criminalité, une fausse piste. Je voulais quelque chose de plus conceptuel. j’ai même pensé à Girlhood pour le titre français, mais aprés Tomboy, ça faisait trop de titres anglais. C’est intéressant de mettre ces deux films en regard l’un de l’autre. Ils sont opposés mais ont une croyance commune : regarder quelqu’un grandir, c’est du cinéma. Richard Linklater l’a fait en 12 ans, moi en 36 jours. Ils sont par contre dans des dispositifs opposés, esthétiquement, dans la mise en scène, et politiquement. Bande de filles est présenté à la fois comme le Boyhood et l’anti Boyhood. C’est malin du point de vue du marketing pour obtenir de l’attention. Dans Boyhood, l’universel, c’est la moyenne : un homme blanc, de la classe moyenne, de parents divorcés. On est dans un personnage statistique, sans aspérité, sans événement. C’est le projet du film, qui touche quelque chose d’intéressant. J’ai pensé pour ma part que l’universel, c’était presque le contraire : une jeune fille noire, de banlieue.
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