Perspectives

« Français de papier » ou « Français de souche » ?

Naître sur le territoire français confère automatiquement la nationalité française : c’est le droit du sol. Dans son combat anti-immigration, l’extrême droite fait de la suppression de ce droit l’un de ses chevaux de bataille.
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Une manifestation anti-immigration à Mayotte, le 27 avril 2023. © Grégoire Mérot/AP/Sipa

Ne dit-on pas que la fin justifie les moyens ? Dans sa volonté de couper l’herbe sous les pieds de l’extrême droite, le gouvernement français avait concocté l’an dernier un ensemble de dispositions législatives visant à contrôler et freiner l’immigration. Parmi les mesures envisagées figurait une restriction de l’accès à la nationalité française.

Pour rappel, cette dernière s’acquiert à l’heure actuelle de deux façons. Par la filiation, d’abord : ce qu’on appelle le droit du sang (jus sanguinis, en latin). Est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français au moment de sa naissance. Par la naissance sur le territoire français, ensuite, c’est-à-dire par le droit du sol (jus soli). Un enfant né en France de parents étrangers devient français de manière automatique à sa majorité, ou de manière anticipée s’il a résidé sur le territoire cinq ans depuis l’âge de 11 ans. Quelques dizaines de milliers de personnes (35 000 en 2021) deviennent français chaque année de cette façon. Ce qui est peu, somme toute.

La loi votée le 19 décembre 2023 par l’Assemblée nationale mettait fin à l’automaticité de ce droit du sol. Si elle était entrée en application, il aurait fallu dès lors qu’une personne née en France de parents étrangers fasse la demande entre ses 16 et 18 ans pour obtenir la nationalité française. La mesure a été invalidée moins d’un mois plus tard par le Conseil constitutionnel, non pour des raisons de fond, mais parce que, comme les 31 autres articles annulés, il s’agit d’un « cavalier législatif », une expression signifiant que ladite mesure n’a pas sa place dans la loi votée dans le sens où elle concerne une autre thématique que celle de l’immigration.

On oppose souvent les pays où prévaut le droit du sol et ceux dont la citoyenneté est fondée exclusivement sur le droit du sang. Dans la seconde catégorie, on a l’habitude de situer l’Allemagne, pour laquelle, traditionnellement, la nation est une communauté ethnique. Mais ce système prévaut un peu partout dans le monde, dans toute l’Afrique, dans presque toute l’Asie et dans quantité de pays européens, tels que l’Italie, les Pays-Bas, la Suisse ou l’Autriche.

Comme en France, le jus soli est reconnu parallèlement au jus sanguinis dans une minorité de pays, essentiellement sur le continent américain, du Canada au Chili. Et pour cause : ces terres d’immigration sont les plus disposées à l’intégration des nouveaux venus. Aux Etats-Unis, le droit du sol, inconditionnel, est inscrit dans la Constitution. Le 14e amendement stipule en effet que « toute personne née ou naturalisée aux Etats-Unis […] est citoyen des Etats-Unis et de l’Etat dans laquelle elle réside ». Un aménagement de ce droit du sol, dont seraient privés les enfants nés de parents en situation irrégulière, figure dans les projets de Donald Trump. Mais nous n’en sommes pas encore là.

Vers un durcissement des règles ?

En matière de droit, rien n’est immuable. Pays où la filiation était le critère exclusif de transmission de la nationalité, l’Allemagne a introduit le jus soli dans sa législation en 2000. Un enfant né de parents étrangers peut désormais acquérir la nationalité allemande si un de ses deux parents vit en Allemagne depuis au moins huit ans. Revirement idéologique ? Pas vraiment. Pragmatisme aidant, on a admis dans ce pays où la natalité est en berne que l’apport de main-d’œuvre immigrée est une nécessité économique absolue. Au Royaume-Uni, de même qu’en Australie et en Irlande, en revanche, les règles d’accession à la nationalité par le droit du sol, jusqu’ici inconditionnel, ont été durcies ces dernières années.

Les Français, de leur côté, ont la mémoire courte. Considéré aujourd’hui comme un élément central du pacte républicain, le droit du sol n’a pas toujours été un marqueur progressiste. Bien au contraire. Il était en effet le droit de l’Ancien Régime, et c’est la Révolution de 1789 qui l’a aboli au profit du droit du sang et de la filiation, considérés alors comme plus émancipateurs que l’ancien droit liant le paysan à la terre. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que la France, qui manque alors de bras pour ses usines et qui souhaite aussi grossir les rangs de son armée dans la perspective d’une nouvelle guerre avec l’Allemagne, réintroduit le droit du sol.

A l’évidence, le débat actuel fait le miel du Rassemblements national et de l’extrême droite en général, pour lesquels « la nationalité française s’hérite ou se mérite ». Les amis de Marien Le Pen et d’Eric Zemmour n’ont de cesse de dénoncer ceux qu’ils appellent les « Français de papier ». Sont ainsi visés les jeunes issus de l’immigration qui, bien que français par la naissance, manifestent parfois certaines formes d’hostilité à l’égard du pays où ils vivent et où ils peinent à trouver une juste place. A ces « Français de papier », l’extrême droite oppose traditionnellement les « Français de souche », une expression qui, au demeurant, tend à se généraliser dans le discours politique des uns et des autres.

La République française et le droit du sol ? Tous sauf un long fleuve tranquille. C’est de Mayotte, département français de l’océan Indien, que ce sujet éminemment sensible est revenu sur le tapis, début février. Pour contrer l’afflux d’immigrés clandestins, Paris a promis aux Mahorais une révision constitutionnelle mettant fin au droit du sol dans l’île. Encore faudrait-il que le gouvernement trouve une majorité au Parlement pour ce faire. Comme disait Jacques Chirac, les promesses des hommes politiques n’engagent que ceux qui les reçoivent.