Etrange Alabama

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Roy Moore a remporté mardi soir la primaire républicaine de l’Alabama, ce qui le place en tête dans la course au Sénat. Le personnage, dévot et controversé, incarne une image de l’Amérique profonde où théologie et politique se confondent.

Président de la Cour Suprême de l’Alabama, Roy Moore a été démit de ses fonctions en 2003 pour avoir refusé de retirer la stèle de granit représentant les Dix Commandements qu’il avait fait installé dans son palais de justice de Montgomery. J’avais fait le portrait du « magistrat déchu », probable sénateur, soutenu par Trump, dans mon livre intitulé Made in USA : regards sur la civilisation américaine (2004). Je peignais alors un « pasteur improvisé » qui tient audience sous un portrait de George Washington et cite allègrement la Bible, « le trait commun à tous les prédicateurs du Sud, qu’ils officient dans les temples ou qu’ils siègent au Parlement ».

« L’Amérique dérive parce qu’elle perd de vue le caractère exceptionnel de sa Constitution », m’avait confié l’ancien juge. « Si celle-ci, depuis deux siècles, a résisté à toutes les tempêtes de l’histoire, c’est qu’elle est hors normes. Malheureusement, depuis les années 1920, des juristes humanistes et laïques se sont emparés des facultés de droit et des cours de justice ; ils ont imposé le révisionnisme. Contre l’opinion majoritaire des Américains, l’avortement et le divorce ont été légalisés, ce qui a conduit à la dégradation des mœurs et de la famille. La Constitution, pas plus que la Bible, ne saurait évoluer. »

Je n’imaginais pas que ce personnage fantasque et exalté continuerait à faire parler de lui et progresser en politique, treize ans plus tard. (Mais il est vrai que nul n’imaginait alors Trump président.) Ce qui m’avait épaté chez Roy Moore était son exotisme : soldat d’une cause qui le dépasse, fondamentaliste chrétien, défenseur d’une Constitution intangible, partisan de la théorie du complot, il est de ceux qui restent persuadés qu’Obama n’est pas né aux Etats-Unis et que les homosexuels sont diaboliques. Il n’existe pas sur la scène publique française pareil personnage, pas même au Front national.

S’il fallait rappeler tout ce qui sépare nos deux pays, Roy Moore, en 2004 comme aujourd’hui, est un bon marqueur. La France, même extrémiste, paraît bien raisonnable par contraste avec cette Amérique dite profonde. Mais je ne juge pas, car il est impensable de juger ce que l’on ne comprend pas. « Pour comprendre les Etats-Unis et la France », écrivait Tocqueville, « il convient de ne jamais les comparer ».

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