Entrés tardivement dans l’Histoire, les Etats-Unis sont peu présents dans le répertoire des expressions françaises, comparés à des pays comme l’Italie ou l’Espagne. Explications avec notre spécialiste de la langue française Dominique Mataillet.
A croire que la guerre de Cent Ans est encore dans les mémoires des Français et des Anglais. Du moins si l’on en juge par les traces de leur rivalité séculaire dans le langage. Exemplaire est à cet égard la façon de désigner le préservatif : « capote anglaise », d’un côté de la Manche, French letter, de l’autre côté. De même les Français disent-ils « filer à l’anglaise » quand les Anglais parlent de « filer à la française » (to take a French leave).
Mais les Anglais ne sont pas les seules têtes de Turc dans les expressions idiomatiques du français. Ne dit-on pas « radin comme un Écossais », « soûl comme un Polonais » ? Quant à « téléphone arabe », « armée mexicaine », – « auberge espagnole », « querelle -d’Allemand » ou encore « manœuvre florentine », c’est loin d’être des amabilités.
Cette propension à charger l’étranger de tous les péchés n’est pas une exclusivité hexagonale. Si un Français égoïste « boit en Suisse », un Américain « va néerlandais » (go Dutch). Lorsque le monde a été frappé par une grippe dévastatrice au lendemain de la Première Guerre mondiale, les Français et les Britanniques l’ont appelée « espagnole », alors qu’elle a été qualifiée d’ « allemande » en Belgique, de « grecque » en Turquie, d’ « arabe » en Grèce.
Les Romains traitaient de Barbares les peuples qui parlaient une langue incompréhensible. Pour un Anglais, un discours inintelligible, c’est « du grec » (it’s all Greek). Pour un Français, c’est « du chinois » ou « de l’hébreu » ; et si quelqu’un estropie sa langue, il dira qu’il « parle français comme une vache espagnole » – sachant qu’à l’origine l’expression était « comme un Basque (parle) l’espagnol ».
Il est au moins une locution qui met presque tout le monde d’accord : French kiss. À l’instar des Anglo-Saxons, les Italiens et les Espagnols voient dans cette façon de s’embrasser une particularité française. Autant que les gentilés, les toponymes inspirent de nombreuses locutions ou expressions françaises. « Bâtir des châteaux en Espagne », c’est rêver de choses irréalisables, « travailler pour le roi de Prusse », c’est faire quelque chose en pure perte.
Certains lieux évoquent la richesse (le Pérou), la surabondance (Byzance) ou, à l’inverse, utilisés de façon négative, leur absence. Quelques-uns peuvent, comme l’île grecque de Cythère, symboliser le paradis, d’autres une contrée inhospitalière. On disait autrefois « Partir à Tataouine », par allusion à la petite ville aux portes du désert tunisien qui abritait un bagne, pour signifier qu’on allait passer un mauvais moment au bout du monde.
Des lieux marqués par des événements historiques sont souvent sollicités pour exprimer une idée complexe. « Aller à Canossa », c’est se rendre quelque part pour se soumettre ou faire pénitence, bref subir une humiliation. « Céder aux délices de Capoue », en référence à Hannibal, c’est se laisser bercer par une vie trop facile. « Trouver le chemin de Damas », c’est, comme le fit Saul en se convertissant à la religion de Jésus, changer de croyance.
Compte tenu des liens privilégiés entre la France et l’Italie, les villes italiennes sont une source privilégiée d’inspiration : « Tous les chemins mènent à Rome »(on arrive au but recherché, quelle que soit la direction empruntée), « Rome ne s’est pas faite en un jour » (une réalisation importante prend du temps), « Voir Naples et mourir » (après l’accomplissement d’un désir très cher, plus rien d’autre n’a de sens dans la vie).
Si, pour les Français, l’Italie symbolise la culture, la beauté, le patrimoine historique, les Etats-Unis sont à leurs yeux une terre de violence. Le Bronx reste l’archétype de la ville livrée aux gangs et à la délinquance, le Far West une région où les gens se tirent dessus à tout bout de champ. C’est pour les mêmes raisons que Marseille a été baptisée la « Chicago française ».
Entrés tardivement dans l’Histoire, les Etats-Unis sont peu présents dans le répertoire des expressions françaises – on notera quand même « avoir un oncle d’Amérique », qui signifie bénéficier de l’aide financière d’un parent éloigné. Les Américains peuvent se consoler avec le succès de certains de leurs lieux emblématiques. Silicon Valley en est venu à désigner, par métonymie, l’industrie des technologies de pointe. Et l’on ne compte plus les mots-valises tirés de Hollywood pour désigner les lieux associés à l’industrie cinématographique : Bollywood (Bombay, en Inde), -Nollywood (le Nigeria), Wellywood (Wellington, en Nouvelle-Zélande)…
Retrouvez tous les mois dans France-Amérique la chronique de Dominique Mataillet sur le langage dans la rubrique « Le français tel qu’on le parle ».