Intégration : un modèle idéal en France ou aux Etats-Unis ?

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Le dictionnaire Larousse définit l’intégration comme la « fusion d’une minorité dans l’ensemble national » et le Merriam-Webster, comme « l’incorporation d’individus de différents groupes comme égaux au sein de la société ». Si les Etats sont d’accord sur la définition, les conceptions divergent quant à sa mise en application. La France prône l’assimilation. Les Etats-Unis, eux, prônent le multiculturalisme. Un modèle est-il meilleur que l’autre ? Réunis dans le cadre d’une conférence au Consulat de France à New York, trois universitaire franco-américains se sont posé la question.

Le modèle français d’intégration repose sur « l’absorbation » des immigrants au sein de la société dominante, explique Patrick Simon, directeur de recherche à l’Institut National d’Etudes Démographiques (INED) et spécialiste des questions de discrimination ethnique en France. Le droit du sol attribue la nationalité aux enfants d’immigrants nés en France, chaque famille se voit « intégrée » en l’espace de deux générations. Or, ce modèle a atteint ses limites à partir des années 1980 et est aujourd’hui « clairement en crise ».
Nationalité et intégration sont deux choses différentes, montrent les recherches de Patrick Simon. « On pense que la seconde génération d’immigrants [6,7 millions d’individus en 2012, soit 10% de la population totale en France] ne se sent pas française ; c’est faux. » Selon les études, une large majorité d’enfants d’immigrants répondent que « oui », ils se « sentent français ». Sur ce point, le modèle d’intégration fonctionne. Il existe toutefois une dissonance entre la manière dont se perçoivent les descendants d’immigrants (« français ») et la manière dont ils sont perçus par le reste de la société (« arabes », « noirs », « asiatiques »). La seconde génération fait de son mieux pour s’intégrer, conclut Patrick Simon, mais ses efforts sont freinés par le reste de la population.

Comparaison point par point

Pour Richard Alba, professeur de sociologie au CUNY Graduate Center de New York et auteur du livre The Next Generation: Immigrant Youth in a Comparative Perspective (2011), comparer intégration en France et aux Etats-Unis est dérisoire. D’une part, le discours sur l’immigration est souvent inscrit au sein d’un narratif national—Républicanisme en France, culture du colon aux Etats-Unis—qui biaise toute étude comparative. Afin d’analyser un modèle d’intégration, d’autre part, il est nécessaire de se pencher sur des facteurs extra-locaux comme le système éducatif, le marché de l’emploi ou encore le processus d’accès au logement, qui diffèrent d’un pays à l’autre.
Le chercheur, en revanche, propose de relever les points, positifs comme négatifs, du modèle d’intégration de chaque pays. Les Etats-Unis, par exemple, sont en avance pour leur reconnaissance des « cultures à trait d’union » (African-American, Italian-American, French-American, etc.) et se distinguent par une seconde génération d’immigrants en moyenne plus patriotique et plus encline à s’engager dans l’armée que le reste de la population. Le pays, par contre, n’est que « très moyen » lorsqu’il s’agit d’offrir aux descendants d’immigrants de réelles opportunités socio-économiques et des chances égales sur le marché de l’emploi. En termes d’accomplissements scolaires, observe Richard Alba, les Mexicains américains devancent les Turcs allemands, sont ex-aequo avec les Marocains français, mais restent derrière les Indiens et Pakistanais britanniques.
Les Etats-Unis, enfin, sont « mauvais » en terme de parité économique entre « natifs » et immigrants. Les conditions de vie des immigrants aux Etats-Unis sont un autre point négatif du modèle d’intégration, conclut Richard Alba. « Aucun endroit en Europe n’arrive au niveau de dénuement du South Bronx », où 40% des résidents vivent sous le seuil de pauvreté.

Des politiques « plus progressistes » aux Etats-Unis

Les Etats-Unis sont très prompts à étendre l’identité nationale aux nouveaux immigrants et à les englober dans le groupe des « Américains à trait d’union », concède Nancy Foner, professeure de sociologie à Hunter College et l’auteure avec Ricard Alba de Strangers No More: Immigration and the Challenges of Integration in North America and Western Europe (2015). Toutefois, elle nuance, il existe d’énormes disparités au sein des « Américains à trait d’union », entre les Irish-Americans et les Cambodian-Americans par exemple.
Même nuance pour la religion, « bien moins problématique » pour les immigrants et leurs enfants aux Etats-Unis qu’en France. Le débat sur l’immigration n’a pas été aussi « islamisé » aux Etats-Unis qu’en Europe, explique Nancy Foner. Historiquement, par ailleurs, la société américaine est moins « férocement laïque » et plus acceptante des religions que la France. Ainsi, deux fêtes musulmanes ont été ajoutées au calendrier des jours fériés dans les écoles new-yorkaises.
La race, en revanche, constitue une « barrière plus sévère » à l’intégration des immigrants américains. L’esclavagisme pèse encore très lourd sur la conscience du pays. Le mouvement de réforme initié dans les années 1950 avec les droits civiques, toutefois, a permis d’aboutir aux Etats-Unis à une série de politiques—programmes de diversité, discrimination positive, etc.—plus progressistes que celles patiquées en Europe aujourd’hui.

En France comme aux Etats-Unis, conclut Richard Alba, « il est important de rester nuancé et tolérant » dans son approche de l’intégration et de « maintenir un discours entre les cultures » au lendemain de tragédies nationales comme les attentats de Paris ou la tuerie de San Bernardino.

 

 

 

 

 

 

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