La France et les Etats-Unis, ces malades imaginaires

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Imaginons un observateur français qui ne connaîtrait pas les Etats-Unis et aurait pour seule source d’information les propos des candidats aux élections présidentielles de novembre prochain. Il entendrait que les Américains sont pauvres, chômeurs, mal soignés, méprisés par le reste du monde, envahis par des masses d’immigrants sauvages, et les Etats-Unis en total déclin. On sait que les campagnes électorales invitent à l’excès et que chaque candidat noircit le tableau pour se poser en sauveur de la nation, mais jamais on ne vit un tel écart entre l’Amérique réelle et celle que nous racontent Donald Trump, Bernie Sanders et un cran en dessous, Hillary Clinton. Vu de France, le contraste est saisissant entre la réalité américaine et le discours électoral.

L’économie ? En France, nous n’avons toujours pas retrouvé le niveau de production antérieur à la crise de 2008. Aux Etats-Unis, la récession est surmontée depuis trois ans. Chômage ? À peu près résorbé aux Etats-Unis : ceux qui cherchent un emploi le trouvent. Tandis qu’en France, le taux de chômage reste fixé à 12%, 25% chez les jeunes. Déclin américain ? S’il existe un critère, c’est celui de l’innovation telle que mesurée par le nombre de brevets internationaux déposés chaque année : les brevets d’aujourd’hui sont les produits et services de demain. Le nombre est de 80 000 par an aux Etats-Unis, supérieur à la totalité des brevets déposés par l’ensemble de l’Europe. Les Etats-Unis sont le numéro un mondial de l’innovation et le resteront, l’Europe et le Japon derrière ainsi que les pays émergents, Chine, Inde, Brésil, Russie sont derrière et presque invisibles tant leur niveau d’innovation est faible.

Immigration ? Les Etats-Unis accueillent chaque année un million de nouveaux résidents légaux qui sont absorbés par le marché du travail. Il s’ajoute un demi-million d’illégaux qui vont avant tout pour y travailler : ils n’affectent ni le niveau de chômage ni les salaires, car ils occupent des emplois dont les Américains ne veulent pas. En France ? Il arrive environ cinq cent mille immigrants par an en ce moment : légaux, illégaux et réfugiés politiques pour la plupart. Ils ne travaillent pas, car les règles strictes du marché du travail ne leur permettent pas ou parce qu’ils entendent avant tout, accéder à des aides sociales, des écoles et des hôpitaux gratuits. Les inégalités sociales aux Etats-Unis ? La visibilité de 1% de super riches, qui gèrent à Wall Street l’épargne bien ou mal acquise du monde entier, ne nuit en rien au reste des Américains qui dans l’ensemble – sauf les derniers arrivés – appartiennent aux classes moyennes et disposent d’un revenu supérieur d’un quart à celui des Français : $55 000 contre $43 000. En France ? Les super riches sont discrets et, contrairement aux Américains, ils ne pratiquent pas la philanthropie.

Hypocondrie

Discrimination ? S’il reste une population afro-américaine marginalisée, il n’empêche que la moitié d’entre elle a rejoint les classes moyennes. Ce qui n’est pas le cas des arabo-musulmans en France, en majorité rejetés hors du monde du travail et des bonnes écoles. La meilleure preuve du recul de la discrimination aux Etats-Unis est que l’ultime combat pour les droits civils concerne les LGBT, Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender ; si rien de plus grave ne tourmente la société américaine que l’accès des LGBT aux toilettes de leur choix, c’est que la société dans son ensemble ne va pas si mal. Le rang international des Etats-Unis ? La puissance de feu de l’armée américaine est équivalente à celle de tous les autres pays du monde réunis : aucune crise internationale ne peut être résolue sans l’intervention américaine. Oui, la France va mieux que les États-Unis sur certains points : elle est moins affectée par l’épidémie de drogues, par l’obésité et par les armes à feu. Mais il s’agit là de différences culturelles difficiles à modifier, quel que soit le gouvernement.

Ce qui nous ramène à l’enjeu des élections présidentielles dans nos deux pays. Les Pères fondateurs aux Etats-Unis ont divisé le pouvoir politique de manière à ce que nul n’en abuse : le président américain est un Gulliver ficelé par le Congrès, la Cour Suprême, les droits des Etats. Depuis Andrew Jackson, les Américains ont élu plusieurs présidents populistes ; tous ont été domestiqués par la Constitution. Si un populiste était élu cette année, il découvrirait les limites de sa fonction ou serait démis (impeached). Le président français est infiniment plus puissant que son homologue américain, mais limité tout de même par le Parlement et le Conseil Constitutionnel : ce qui en France aussi cantonnerait la capacité de nuisance d’un président populiste.

Au total, les Français actuellement broient du noir, un malaise collectif d’origine économique et d’une certaine incapacité à accepter la diversité éthnique et culturelle. Aux Etats-Unis, des Américains sont également troublés par la « diversité », mais ce n’est pas une crise identitaire nationale. Certains Américains sont évidemment insatisfaits de leur emploi ou de leur salaire médiocre, mais la mobilité sociale reste possible. En France ? La mobilité sociale a quasiment disparu. Le XXIe siècle sera donc américain, quel que soit le futur président des Etats-Unis. En France ? Le futur président pourrait guérir la dépression nationale, s’il se révélait un bon pédagogue : la France n’est pas en déclin, elle dispose toujours d’un immense capital économique, culturel, éducatif acquis au cours des siècles. Mais le pays est grippé. Les Etats-Unis et la France sont tout de même moins malades qu’ils le croient. Mais les deux sont atteints d’hypocondrie : malades imaginaires, aurait dit Molière.

 

Ediorial publié dans le numéro de juin de France-Amérique.

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