Le mois de mars célèbre la francophonie. A la fois directive des gouvernements français et tradition relayée par les ambassades, cette célébration de la langue français laisse perplexe.
En mars, des manifestations culturelles louent la langue française partout dans le monde. L’initiative laisse perplexe, car si on parle français, c’est en principe tous les jours. Il est étrange aussi que l’ordre de célébrer le français vienne du haut et ne soit pas une initiative spontanée des acteurs culturels et linguistiques. Ceci illustre l’ambiguïté de ce terme de francophonie et de l’institution étatique supposée défendre notre langue.
En quoi se distingue un écrivain francophone, par exemple, d’un écrivain français ? A son origine ethnique ? à la couleur de sa peau ? Alain Mabanckou, romancier né au Congo et professeur de français à l’université UCLA à Los Angeles, est-il francophone ou seulement de langue française ? Lui-même s’insurge contre cette distinction qui lui paraît remonter à l’ère coloniale. Souleymane Bachir Diagne, qui dirige le département de littérature française à l’université Columbia à New York, musulman et sénégalais, ne se perçoit pas non plus comme francophone : il est sénégalais de langue française. Vus de Paris, les chanteurs et écrivains québécois sont également qualifiés de francophones. Devrait-on en conclure que les Français de métropole parlent français et que ceux de la périphérie parent le « francophone » ?
Clairement, la francophonie, dont le siège est à Paris, est l’héritage ultime du passé impérial. Sauver la francophonie, comme langue et comme institution, estime Souleymane Bachir Diagne, exigerait d’en retirer totalement la gestion aux Français de France. Ce serait, enfin, le stade ultime de la décolonisation. Quant à la langue française, ajoute Alain Mabanckou, elle se porte fort bien, en particulier aux Etats-Unis où sont traduits bien des écrivains « francophones » et où prolifèrent les écoles bilingues anglo-françaises.