La liberté d’expression, un concept différent en France et aux Etats-Unis

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Le refus de la majorité des médias américains de montrer les dessins de Charlie Hebdo interroge la notion de liberté d’expression et ses limites en France et aux Etats-Unis. Pour comprendre ces discordances, France-Amérique a interrogé Gregory Magarian, professeur de droit à la Washington University de St. Louis et spécialiste des questions de liberté d’expression, liberté de la presse et de droit constitutionnel.

France-Amérique : Un magazine comme Charlie Hebdo pourrait-il être paraître aux Etats-Unis sans être attaqué en justice ?

Gregory Magarian : Légalement, je pense qu’un magazine comme Charlie Hebdo pourrait tout à fait être vendu en kiosque aux Etats-Unis. Notre loi est permissive en ce qui concerne la satire de groupes ethniques, de nationalités, de religions, comme de personnes publiques. Culturellement par contre, je pense que ce serait très dur pour un magazine similaire à Charlie d’exister aux Etats-Unis. De tradition, la satire américaine est beaucoup plus faible qu’en France. Il y a des exceptions mais je pense que Charlie Hebdo serait une publication davantage marginale qu’en France.

En France, la loi Gayssot encadre juridiquement la liberté d’expression. Qu’en est-il du 1er amendement de la constitution américaine ?

Ce dernier protège la liberté d’expression et la presse. Il rend impossible le délit de blasphème, un concept étranger à la loi américaine. Contrairement à la loi française, le 1er amendement protège même les discours haineux. Une exception cependant : les propos haineux incitant à la violence.

Une conférence organisée par les « White Supremacists » aux Etats-Unis est donc légale ?

 

Le 1er amendement protège catégoriquement une conférence des « White Supremacists ». Il existe le cas célèbre traité par plusieurs cours américaines, qui, dans les années 70, n’ont pas interdit la tenue d’une marche organisée par un groupe nazi dans une ville où résidaient une forte communauté juive et de nombreux survivants de l’holocauste. (Le cas, passé devant la Cour Suprême, s’intitulait National Socialist Party of America v. Village of Skokie. Ni la Cour Suprême, ni la Cour Suprême de l’Illinois, en dernière instance, n’ont interdit la marche dans la ville de Skokie, Illinois, où un habitant sur six était un survivant de l’holocauste. Le rassemblement s’est finalement tenu en 1978 à Chicago, Ndlr)

Comment expliquer que les médias américains, protégés par le 1er amendement, se soient en grande majorité opposé à la diffusion des caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo ?

Parce que la loi américaine sur la liberté d’expression est très permissive, je pense que beaucoup d’institutions s’autocensurent plus fortement. Dans le cas particulier des caricatures de Mahomet, la presse ne voulait tout simplement pas offenser les musulmans. Une raison à cela peut être la peur du terrorisme mais je crois qu’il s’agit surtout d’une reconnaissance que les musulmans sont une minorité très vulnérable aux Etats-Unis. De manière générale, les dessins sont une forme de commentaire politique plus forts en France et en Belgique qu’aux Etats-Unis. Pour cette raison, je pense que beaucoup d’organes de presse américains ont honnêtement estimé que la republication des caricatures de Charlie Hebdo n’était pas nécessaire à la compréhension de l’information.

Dans un éditorial du Washington Post, Jonathan Turley affirme que la menace contre la liberté d’expression en France ne vient pas des terroristes mais du gouvernement. Selon lui « si les Français veulent rendre hommage à ceux tués à Charlie Hebdo, ils devraient commencer par abroger les lois qui criminalisent l’insulte, la diffamation, les incitations à la haine, la discrimation ou la violence sur la base d’une religion, race, ethnie, nationalité, d’un handicap, ou d’une orientation sexuelle ». Qu’en pensez-vous ?

Jonathan Turley a raison à mon avis de dire que les lois limitant la liberté d’expression sont de mauvaises lois. Néanmoins, je ne crois pas qu’on puisse analyser ces lois à la lumière des attaques de Charlie Hebdo. Et même si je pense également que les lois françaises restreignant la liberté d’expression ne sont pas judicieuses, je ne l’affirmerais pas de cette manière au moment même où la France est en deuil. Même si je pense que les valeurs politiques de la France et des Etats-Unis ont beaucoup en commun, j’ai appris avec le temps qu’il faut toujours être prudent lorsque l’on juge les lois et les normes des autres cultures. Les Etats-Unis n’ont jamais été occupés par Hitler. Peut-être que les Américains jugeraient différemment les discours haineux s’ils avaient subi ce que la France a vécu dans les années 40.

En 2012, à la tribune de l’ONU, Barack Obama a affirmé que le futur ne doit pas appartenir à ceux qui diffament le prophète de l’Islam. Selon vous, une loi américaine équivalente à la loi Gayssot sur les limites de la liberté d’expression est-elle envisageable aux Etats-Unis ?

Non, car à la lumière du 1er amendement de la constitution, je crois que cette déclaration de Barack Obama a une valeur plus normative que légale. Cette phrase ne s’adressait d’ailleurs pas du tout aux satiristes.

Quelles différences voyez-vous entre la laïcité américaine et française ?

La France a une affiliation historique avec une religion. C’est pourquoi la laïcité française a besoin d’être explicite et agressive. D’un autre côté, la constitution américaine est une sorte de compromis : nous n’avons pas de religion nationale, mais nous respectons et faisons des concessions pour les croyances religieuses des individus. Ce compromis fait de la laïcité américaine un concept insaisissable, ce qui explique aussi pourquoi les débats sur cette question ont été beaucoup moins virulents aux Etats-Unis qu’en France. D’un côté, la laïcité est enracinée dans le système politique américain, d’un autre côté, elle est souvent désapprouvée dans la culture et la société civile américaine.

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