Mais ce que propose Sanders, n’est-ce pas exactement ce dont les Français disposent et qu’aucun parti, en France, fut-il de droite, n’oserait répudier ? Ce qui, en France, est de droite ou au centre (les suggestions de Sanders remontent en France aux gouvernements de De Gaulle en 1945 et Jacques Chirac en 1995) est perçu comme d’extrême-gauche aux Etats-Unis. Barack Obama est constamment qualifié de « socialiste » par ses adversaires républicains (Républicains américains), l’insulte suprême de la vie politique aux Etats-Unis. Mais, en France, les « mini-réformes » d’Obama le situeraient plutôt du côté des centristes. Quant à Hillary Clinton, classée comme « gauchiste » dans son propre pays, elle trouverait naturellement sa place chez les Républicains français, à la droite de Nicolas Sarkozy : les Républicains français seraient des démocrates américains.
En vérité, il n’y a pas de gauche aux Etats-Unis, sauf dans les marges universitaires, dans quelques mouvements étudiants, chez quelques rares intellectuels à la Noam Chomsky. Pourquoi cette absence de la gauche ? Sans doute pour des raisons historiques fondamentales : l’individualisme des pionniers, la croyance calviniste en la responsabilité personnelle, la méfiance envers l’Etat central, le consensus autour de l’économie de marché, la figure positive de l’entrepreneur, et la longue lutte contre « l’Empire du mal », ainsi que Ronald Reagan qualifia l’Union soviétique.
De même que les Etats-Unis n’ont pas de gauche, la France n’a pas de droite conservatrice au sens américain. Les Républicains sont étatistes comme l’étaient les Gaullistes. Le Front national est anticapitaliste et favorable à un Etat central fort, ce qui interdit aussi de le comparer au Parti Républicain américain. La xénophobie du Front national serait, aux Etats-Unis, impensable et indicible, sans comparaison avec le débat américain qui porte sur les modes d’intégration des immigrants.
La politique dans nos deux pays relève de leur histoire et de leur culture : pas comparables. Ainsi que l’écrivit Alexis de Tocqueville dans une lettre à sa mère, datée de 1831 à New York : « Pour comprendre les Etats-Unis, ne jamais comparer avec la France ». J’ajouterai « et réciproquement ».