Les Etats-Unis comme la France élisent un nouveau président. Par-delà la coïncidence des calendriers et la similarité des termes, un président ici est-il l’équivalent d’un président là-bas ? Ce n’est pas certain, les mots n’ayant pas forcément le même sens ici et là-bas.
On connaît les faux amis du dictionnaire : actually ne signifie pas actuellement mais « en fait », eventually ne signifie pas « éventuellement » mais « finalement », support ne veut pas dire « supporter » mais « soutenir », etc. Plus traîtres encore sont les mots équivalents, mais qui ne renvoient pas au même contenu ni à la même expérience historique ou sociale. Démocratie, par exemple, est bien democracy, mais parle-t-on de la même chose des deux côtés de l’Atlantique ? Lorsque Tocqueville décrit la démocratie en Amérique, il traite avant tout des mœurs égalitaires de cette nation par contraste avec les habitudes aristocratiques de la France. Ce qui était en son temps et reste démocratique aux États-Unis tient avant tout aux relations égalitaires, ou d’apparence égalitaire, entre des citoyens de statut social et de fortune différents ; s’interpeller par son prénom, toujours se présenter, s’habiller de manière uniforme constituent l’essence démocratique des Américains. Les Français, à l’inverse, ne s’appellent que rarement par leur prénom et ne se présentent jamais, car ils sont supposés être reconnus, particulièrement au sommet de la société. Les Français ne sont pas moins adeptes — en principe — de la démocratie, mais ils la réduisent aux institutions politiques plus qu’aux « habitudes du cœur ». Si bien qu’aujourd’hui comme naguère les Français qui le connaissent de nom interprètent Tocqueville à l’envers.
Il en va de même pour le terme « constitution » qui, en droit, a une valeur identique dans nos deux pays, mais n’est pas, en vérité, ressenti comme telle. Les Américains n’ont jamais eu qu’une seule Constitution, dont ils connaissent le contenu, à laquelle il est sans cesse fait référence et que la Cour Suprême protège : on peut l’interpréter, la modifier au terme d’une procédure complexe mais jamais la violer. Les Français en sont à leur douzième Constitution depuis 1791 ; les modifications sont aisées et constantes, si bien que le texte n’est familier qu’aux experts, ignoré du peuple et rarement une référence. En ce moment, face au terrorisme, la plupart des candidats aux élections présidentielles annoncent une réforme de plus de la Constitution. Et sa protection par le Conseil constitutionnel, inspirée par la Cour Suprême américaine, est insignifiante ; les magistrats qui y siègent sont des politiciens en retraite. Constitution est donc un faux ami, de même que « liberté d’expression ».
Aux Etats-Unis, on ne badine pas avec cette liberté d’expression garantie par le Premier amendement et qui couvre ce que les Français considèrent comme des excès de langage et de comportement. La liberté française est, elle, limitée de fait par ce qui est « politiquement correct » comme aux Etats-Unis, mais aussi par la loi : les propos racistes et antisémites sont passibles d’amendes et de prison, il est interdit de nier que les Arméniens furent victimes d’un « génocide » en 1915, il est interdit de porter des signes religieux dans certains espaces publics, en particulier le « voile islamique », ce qui est supposé favoriser « l’assimilation » des immigrants et qui, à mon avis, la ralentit.
On pourrait multiplier les exemples contradictoires entre la France et les Etats-Unis, mais je me limiterai à un dernier terme, celui de citoyen. En France, c’est l’Etat qui fait le citoyen, délimite ses droits et ses libertés, tandis qu’aux Etats-Unis, en raison de l’histoire des origines et du tempérament national, les citoyens ont fait l’Etat et, depuis la Convention de Philadelphie, en ont déterminé les limites. L’Etat, en France, est supposé octroyer la liberté ; aux Etats-Unis, on est libre contre l’Etat. D’où les multiples contre-pouvoirs américains, légaux et judiciaires qui font des dirigeants américains des Gulliver ficelés par des Lilliputiens, à commencer par le Président des États-Unis. L’Etat en France, à l’inverse, est tout puissant, la notion de contre-pouvoir à peu près inconnue et vite dénoncée comme hostile à la République. Je n’en conclus pas qu’un régime est supérieur à l’autre, mais ils sont essentiellement différents, une distinction souvent occultée par un vocabulaire commun : méfions-nous des faux amis qui nuisent à la compréhension des uns par les autres.
Editorial publié dans le numéro de novembre 2016 de France-Amérique.