Les Français ont deux présidents, celui qu’ils élisent et l’autre qu’ils n’élisent pas, et pèse tout de même sur leur destin : le président des Etats-Unis. La sécurité militaire de la France comme du reste de l’Europe dépend de l’OTAN, mais ce pacte militaire de protection collective ne vaut que par l’engagement américain.
Un officier américain dirige l’OTAN et l’armée française par elle-même, ni aucune armée en Europe, ne serait en mesure de se défendre seule face à une agression, russe par exemple. L’armée française, bien que la plus puissante en Europe, avec la britannique, n’a guère les moyens de se « projeter » dans des campagnes au loin sans le soutien logistique des Etats-Unis. Lorsqu’il y a quatre ans, François Hollande annonça que l’aviation française partait bombarder les troupes assassines du président syrien, Barack Obama lâcha Hollande. Deux heures plus tard, la France fut soudain privée de la possibilité de repérer des cibles, technique que seuls les Américains maîtrisaient : la France dut annuler son offensive. Quand l’année suivante, en janvier 2014, l’armée française sauva l’Etat du Mali, ce fut un bel exercice de courage avec trois mille hommes seulement, mais couverts par l’aviation américaine. A l’inverse, lorsque Jacques Chirac, en 2003, refusa de soutenir George W. Bush, l’invasion de l’Irak n’en eut pas moins lieu.
Cette influence du président américain sur la stratégie française est donc déterminante, tandis que la réciproque n’est pas vraie : le président français exerce sur les Etats-Unis au mieux une magistrature d’influence. Un ancien ambassadeur de France aux Etats-Unis, du temps de la présidence de Jacques Chirac, Jean-David Lévitte, observait avec ironie que les Français devraient élire un sénateur américain, ce qui serait la seule manière, selon l’ambassadeur, d’être réellement consultés par Washington. Faute de sénateur, la France dispose d’un cercle d’amis au Congrès et au Sénat américains, le French Caucus, qui relaie les positions de Paris.
On comprend que l’émotion, en France et en Europe, soit considérable, lorsque le candidat Donald Trump annonce que la protection de l’OTAN ne sera plus automatique s’il devenait président. Le même Trump envisage un retrait américain de l’OTAN si les Etats européens ne contribuent pas plus généreusement au financement commun : Trump oublie que l’OTAN protège aussi les intérêts américains dans le monde. C’est l’OTAN qui est intervenue en Afghanistan, contre les Talibans, après les attentats du 11 septembre 2001.
L’influence du président américain sur la France est aussi décisive en économie. Les Français, beaucoup plus que les Américains, vivent de leur commerce extérieur. Or, ce commerce est tributaire de l’ouverture ou non du marché américain et de la sécurité des voies maritimes par où transitent 90% des échanges de marchandises. La voie principale passe par la Mer de Chine, dont la police est assurée par la Septième Flotte des Etats-Unis basée à Yokosuka au Japon et qui patrouille jusqu’en Inde. Un président protectionniste et isolationniste, Trump par exemple, pourrait asphyxier l’Europe, sans que celle-ci n’ait les moyens de s’en protéger.
Mais, le 8 novembre, les Français — spectateurs, et non acteurs de leur destin — ne voteront pas. Leurs préférences, que l’on peut connaître par les sondages d’opinion, n’en sont pas moins claires : seulement 9% d’entre eux souhaitent Trump, un électorat qui, pour l’essentiel, coïncide avec celui du Front national : la composition sociologique est comparable aux supporters américains de Trump, plutôt des hommes d’un certain âge, pas forcément diplômés et foncièrement hostiles à toute immigration. Jamais candidat à la Maison Blanche ne fut aussi impopulaire en France : même George W. Bush suscitait une certaine sympathie dans la droite française. Pour s’en tenir aux temps récents, rappelons que Ronald Reagan avait été très apprécié des Français pour sa résistance aux Soviétiques. Barack Obama ? Il est plus populaire encore, moins pour ce qu’il a fait que pour ce qu’il est : cool. Hillary Clinton ? Elle reste peu connue des Français, insituable sur notre axe droite-gauche. Par-delà les considérations partisanes, les Français s’inquiètent de la démocratie en Amérique : longtemps perçue comme un modèle, la campagne présidentielle en cours en fait un anti-modèle de violences verbales et de rodomontades. Comment nos amis américains ont-ils pu tomber dans ce marécage ? On ne le comprend pas.
Editorial publié dans le numéro de septembre 2016 de France-Amérique.