Pour financer ses travaux de restauration, estimés à 149 millions d’euros, la plus célèbre cathédrale de France a lancé un appel aux donateurs américains.
Le joyau de l’art gothique français, au cœur de l’histoire nationale depuis 1163, s’effrite : ses gargouilles se détériorent, ses saints perdent leur visage sous l’effet de l’âge, de la pollution et de la foule des touristes. Notre-Dame de Paris appartient à l’Etat et en tant que telle, reçoit chaque année près de deux millions d’euros du ministère de la Culture pour son entretien. Mais ce n’est pas assez. La société des amis de la cathédrale — Friends of Notre-Dame de Paris — lance donc un appel à des donateurs américains plutôt qu’à des Français.
N’est-ce pas une curiosité nationale que de confier aux Etats-Unis le sauvetage du patrimoine français ? Certes, il existe des précédents illustres, en particulier la sauvegarde du château de Versailles qui tombait en ruine dans les années 1930, celle du Musée d’Orsay ou encore celle du château de Blérancourt, symbole de l’amitié franco-américaine depuis la Première Guerre mondiale. Mais alors qu’on attend des philanthropes américains qu’ils se précipitent à la rescousse de Notre-Dame, les très riches entrepreneurs français édifient dans Paris des musées dédiés à leur gloire personnelle, comme Bernard Arnault avec la Fondation Louis Vuitton et François Pinault avec un futur musée logé dans l’ancienne Bourse de commerce.
L’argent ne manque donc pas aux Français, mais le sens de la philanthropie, oui. Du moins chez les Français les plus riches. Car les plus modestes sont généreux : lorsque je présidais l’association humanitaire Action contre la Faim (Action Against Hunger aux Etats-Unis), je recevais chaque jour, au courrier, des donations de quelques euros. Mais quand je m’adressais aux plus fortunés, je n’obtenais rien. Il existe de nombreuses explications à cette avarice des Français les plus riches : certaines sont fiscales mais ne valent rien, car en France aussi, les entreprises peuvent déduire leurs dons des revenus imposables.
C’est donc du côté de la culture et de la religion qu’il faut chercher une raison. Les Américains enrichis considèrent qu’ils ont eu de la chance, divine ou laïque, et qu’ils doivent donc restituer une partie de leurs gains à la communauté. Les riches Français estiment qu’ils ont bien mérité leur fortune et ne s’estiment pas moralement obligés de restituer quoi que ce soit. Où est la vérité ? Dieu seul le sait, qui compte ses ouailles depuis les tours de Notre-Dame.